dimanche 12 décembre 2010

Recyclage

Une bonne vingtaine de « colleges » et universités sont recensés sur le plan gratuit de Chicago que vous remet la CTA. Certains campus se trouvent en fait dans la banlieue adjacente, comme celui de la très cossue Northwestern University, où j'ai participé il y a quelque temps à une conférence, et qui est située dans un secteur chic d'Evanston, une municipalité au Nord-Est de Chicago, à l’Est de de Skokie, près du lac.

En reprenant le chemin du « L », ce soir-là, j'ai réalisé que c'était la première fois que je participais seul à un colloque en anglais, sans connaître personne, qui plus est avec des gens assez éloignés de ma discipline : des historiens, des bibliothécaires, etc. Pas évident donc. Mais ce qui m'a aidé, c'est que la plupart des gens ne se connaissaient pas non plus, si bien que lorsqu'est venu le moment de former des groupes pour aller luncher dans un resto des environs, chacun s'efforçait d'engager la conversation avec les autres. C'est au restaurant où notre petite bande a échoué (chez Lulu's, un restaurant de dim sum et de cuisine « panasiatique »), que j'ai remarqué la proportion élevée, sur la table, de mains portant l'anneau (et il n'y avait pas d'ingénieur...). J'ai repensé à cet épisode presque comique où K. essayait d'estimer mon âge notamment en se basant sur le fait que je n'étais pas marié... alors qu'il ignorait encore de quel bois je me chauffais.

Pour en revenir à Evanston, c’est probablement la ville la plus riche du comté de Cook. On peut dire que c'est le Westmount de Chicago, et le taux de professions dites « supérieures » y est particulièrement élevé. C'est d'ailleurs là qu'habite S., mon superviseur, qui m'a hébergé quelques jours le temps que je trouve un appartement. Paradoxalement, c’est aussi à Evanston, sur Chicago Avenue, que j’ai trouvé le plus de thrift stores, magasins de brocante et friperies. C’est d’ailleurs dans un magasin de l’Armée du Salut que j’ai trouvé ma table de cuisine. Cette apparente contradiction peut s’expliquer notamment par la proportion élevée d’intellos de gauche, plutôt écolos et partisans de la réutilisation et... du recyclage. Car à Evanston, on recyle. Et ses bennes à matières recyclables font l’envie des résidents des communes voisines et notamment des Chicagolais/-oens, dont certains, riverains des zones limitrophes, n’hésitent pas à prendre leur voiture pour se débarraser de leurs boîtes de lait, bouteilles vides, canettes, etc., dans les containers d’Evanston.

Car un des grands scandales à Chicago, c’est qu’on n’y pratique pas le recyclage domestique. En fait, seuls les immeubles résidentiels de plus d’un certain nombre d’unités sont tenus de payer les services d’une collecte privée (et apparemment ce n’est pas le cas du mien). L’explication qu’on m’a donnée, c’est que ça coûte trop cher. Et par-dessus le marché, les bouteilles et les canettes de bière (et autres breuvages) ne sont pas consignées en Illinois. Donc emballages de carton, papier, verre, plastique, aluminium, tout cela s’en va à la décharge...  Pour une ville comme Chicago, la Second City, c’est assez effarant. Mais il faut dire que la ville est en déroute budgétaire, tout comme l’Illinois, au bord de la cessation de paiement des retraites, alors le recyclage...

mercredi 8 décembre 2010

Chilly City

La windy city par -10° ça devient la chilly city ! C’était sympa en été d’attendre le bus ou le train tout en surfant sur le Net (sur mon iPod ou sur mon netbook), mais quand on se gèle les mains c’est un peu moins le fun. Et un petit détail m’avait échappé... Quand on attend le métro à Montréal (et on peut l’attendre longtemps!), au moins on est au chaud. Tandis qu’à part quelques stations enterrées au cente-ville, la plupart des stations du « L » sont évidemment en plein air, puisqu’il s’agit d’un métro aérien, comme son nom l’indique! (voir Transport en commun). Je vais donc devoir mieux planifier mes retours de l’université, car attendre le bus pendant 25 min par un froid glacial, no more, please!

lundi 6 décembre 2010

Chicagolais?

Ça fait plus de deux mois que je vous parle des Chicagoens. Samedi, en écoutant l’émission de radio La tête ailleurs sur les ondes de Radio-Canada (dont le thème était justement Chicago – j’y ai d’ailleurs appris plein de choses intéressantes), j’ai su que j’avais tout faux. On devrait, semble-t-il, appeler les habitants de Chicago, des Chicagolais, comme on dit « Congolais » et « Togolais ». Why not? J’ai aussitôt « gougueulé » le mot, pour m’apercevoir qu’en effet, il était en usage, sans être particulièrement répandu. Pour tout dire, le premier résultat sur la liste était le lien vers le blog d’un « confrère », compatriote français venu effectuer un stage de deux ans à Chicago et reparti depuis. J’ai trouvé intéressant de consulter ce carnet de route similaire au mien dans son esprit et d’ailleurs lui aussi locataire de la plateforme Blogger, et de comparer nos manières de faire. La première chose qui m’a frappée, c’est l’accent mis sur l’américanité de Chicago (par exemple, il est question du courant en 110 V), tandis que je pense avoir tendance à comparer Chicago avec d’autres villes d’Amérique du Nord, et à Montréal en particulier, pour en faire ressortir le caractère distinctif. D’ailleurs, je me redisais récemment que n’eût été mon acculturation nord-américaine préalable, je pense que l’adaptation (et l’intégration en cours) aurait été beaucoup moins aisée. Quoi qu’il en soit, j’aime l’idée d’un blog qui reprend là où l’autre s’arrête (avec quand même deux ans d’intervalle dans ce cas). Peut-être chercherai-je un autre « navigateur solitaire » pour me succéder à la barre de ce blog le moment venu!

Sur ce, je suis parti rejoindre Anabelle au Trap Door Theatre, pour assister à la dernière représentation de la création nord-américaine, en version anglaise, de la pièce Moi aussi, je suis Catherine Deneuve (du jeune auteur et artiste multidisciplinaire Pierre Notte), avant que la pièce ne poursuivre sa route à Atlanta, Washington, New York, et peut-être même... Paris! (on le lui souhaite) Comment ai-je atterri dans ce minuscule théâtre (45 places) plutôt underground de Bucktown, où tout est tellement informel que les comédiens accueillent eux-mêmes les spectateurs, et leur servent un verre de vin à la fin? Simplement parce qu’Anabelle a rencontré l’un des membres de la production, que j’appellerai Ben, au bar d’en face. Il parle un français impeccable et nous avons longuement discuté avant et après la pièce. Ben était aussi sceptique que moi à propos des « Chicagolais » ; lui aussi dit : « Chicagoens », et, dit-il, continuera de le faire. Comme c’était le dernier soir, ils ont servi un vin-fromages et nous avons fini la soirée à sabrer le champagne (américain) pour trinquer au succès de la pièce avec les comédiens. Et c’est sur scène que ces victuailles ont été servies, sur la table de la cuisine qui constituait l’essentiel du décor de la pièce, un huis-clos familial mêlant l’absurde et le tragique (ça m’a fait penser à du Beckett) qui se déroule justement dans une cuisine. Avec en plus, un piano, omniprésent comme la voix éthérée de l’une des comédiennes. Au point que l’on avait parfois l’impression d’être dans une comédie musicale. Très réussi, ce subtil mélange était rehaussé par la projection du texte en français des chansons originales, et l’on se surprenait à suivre les deux textes en parallèle, comme pour ne rien manquer de leur poésie.

Il était tard quand nous sommes sortis du théâtre: plus de bus et on était loin du L. Nous avons donc pris un taxi. Chacun le sien. Moi vers le Nord. Anabelle vers le Sud. Musique techno à fond, le chauffeur me parlait mais je comprenais un mot sur quatre, son accent y étant pour autant que la musique. Ça circule plus difficilement, les rues ne sont pas toutes déneigées. Car la neige a fini par tomber. Rien de bien méchant, 5 cm environ. Mais elle tient. (Voir la photo de ma cour.) Car comme me l’ont fait remarquer des amis hier, la double échelle de températures (Farenheit/Celsius) que j’ai épinglée derrière la porte de ma penderie ne me sert plus à grand-chose puisqu’elle ne va pas plus bas que -1°C et qu’on est descendu bien en-dessous aujourd’hui. 

jeudi 2 décembre 2010

En attendant la neige

Paris y a goûté. Montréal y a goûté. Ici on l’attend. Le sel est déjà épandu sur les trottoirs. Je peux vous dire que Chicago en novembre, par temps froid et venteux, et sous un ciel gris plomb, c'est aussi déprimant que Paris en novembre. Alors en attendant que la première tempête de neige s'abatte sur nous, j’ai mis en ligne quelques images de Chicago en été, histoire de nous réchauffer l’âme.

Il y a quelque temps j'ai accompagné Len à la première d'une comédie musicale. Il revenait des funérailles de sa mère à Madison, et je dois dire que je ne savais pas trop comment aborder cette soirée en sa compagnie. D’instinct, je l’ai laissé conduire la conversation en même temps que sa voiture, sur la route de la salle de spectacle, située en banlieue nord de Chicago, à Skokie. Cela vous donne déjà un indice qu'il ne s'agit pas d'une grosse production comme celles qui se donnent à « Broadway in Chicago », le quartier des spectacles au centre-ville. A Civil War Christmas de Paula Vogel, se passe à Washington durant la Guerre de Sécession. C’est une création récente, sans grande prétention, mais qui apporte un twist post-moderne au « conte de Noël ». Len avait obtenu les billets par le directeur musical et pianiste, un ami à lui. J'ai eu un brin de nostalgie du temps où je faisais partie d'un chœur, car j'ai chanté certains de ces airs de Noël britanniques (carols) formant l'ossature musicale de l'œuvre. Bien qu'écrite en 2006 et se passant en 1864, cette comédie douce-amère convient bien au contexte économique morose dans lequel se préparent les fêtes de Noël, omniprésentes déjà. On y voit notamment une First Lady sans le sou, épouse d'Abraham Lincoln (président emblématique de l'Illinois) déambulant dans les rues de la capitale en se lamentant de ne pouvoir offir à son mari un présent digne de ce nom, avant de jeter son dévolu sur un introuvable sapin. Ça me fait penser qu’il y a un arbre de Noël « officiel » à Chicago, place Daley, qu’Alejandro m’avait proposé d’aller voir, mais j’ai préféré passer mon tour. Samedi, ce sera du théâtre cette fois, avec Anabelle. La pièce s’intitule : Me too I am Catherine Deneuve. Je vous en donnerai des nouvelles!

dimanche 28 novembre 2010

Black Friday

C'est agréable quand on commence à apprivoiser une ville. À se sentir en terrain connu. Moins assailli par la nouveauté, l'étrangeté. Comme lorsque Jay (le traducteur rencontré à la soirée des Français) m'a donné rendez-vous un vendredi soir dans un bar de Logan Square, un quartier situé à l'Ouest de Lincoln Park et au Sud de Lakeview, où j'ai rarement mis les pieds. Le Cole's attire une foule à peine pubère de hipsters, de nostalgiques et de néo-convertis du rock alternatif et vintage, venus entendre des groupes émergents pour le prix d'une bière. J'y ai fait la connaissance d'un ami français de Jay, Arnaud (nom fictif comme tous les autres, même si les initiales correspondent), jeune photographe, comédien et papa déjanté dans la vingtaine, ayant quitté Paris pour Chicago il y a trois ans pour y suivre sa femme qui venait y faire ses études. J'avais essayé d'y entraîner Anabelle, mais elle reçoit toujours mes textos avec un délai considérable. Finalement elle m'a écrit qu'elle passait la soirée au Spin avec les doctorants de son département, tous hétéros. À Jay qui m'a demandé pourquoi elle ne venait pas j'ai rigolé que c'était le monde à l'envers. Que c'est moi qui devrais me trouver au Spin et elle au Cole's. Anabelle adore l'ambiance des bars gays de Boystown. En plus le vendredi soir, c'est « shower contest », un concours « pro-am » où de beaux mecs rivalisent de sensualité en prenant une douche en slip sur le rythme d'une musique endiablée, sous l'œil faussement blasé d'une matrone latino qui mène le show à la baguette et décide « au décibélomètre » de celui qui remporte la faveur du public et les 150$ en jeu.

D'un vendredi à l'autre, avant-hier c'était le « Black Friday ». Pas besoin de vous dire ce que c'est; tant au Québec qu'en France les médias ne parlaient que de ça ces derniers jours : une journée de soldes soi-disant records, sur lesquels se ruent les Américains au lendemain de la fête de Thanksgiving. « L'action de Grâce », aux États-Unis, c'est quelque chose. Tout ferme et la plupart des gens sont en congé pendant quatre jours; on dirait que la terre s'arrête de tourner! J'ai été très gentiment invité à passer la soirée chez un couple de collègues gays de mon département, dans une tour du centre-ville, avec vue imprenable sur la Tour Willis. Et cette soirée commençait à... 3 heures de l'après-midi, car la dinde se déguste traditionnellement vers 4-5 heures. J'ai appris qu'il s'agit de ce que les Américains appellent un « dinner » (un gros repas d'après-midi) et non un dîner au sens des Français ou d'un souper au sens des Québécois.

Bref, vendredi, je suis allé faire un tour sur Broadway, en marchant, par un temps ensoleillé mais glacial. J'avais l'impression que je verrais des signes de cette frénésie de consommation dont on m'avait rebattu les oreilles, mais visiblement, je n'ai pas au bon endroit. Les petits magasins de déco qui s'égrènent entre Belmont et Diversey étaient quasi déserts, les promos affichées plutôt timides quand il y en avait. (Il y avait sans doute plus d'action sur Michigan Avenue, principale artère commerciale de Chicago). J'avais repéré quelques trucs sur le prospectus d'un magasin de déco, et comme j'avais reçu un bon de réduction pour les résidents du quartier, je me suis dit que soldes ou pas pas soldes, je pourrais peut-être faire une bonne affaire. J'arrive dans le magasin en question, et non seulement je ne trouve pas ce que je cherchais, mais rien n'est en solde! Finalement, je trouve quelques babioles, et quand je présente mon bon de réduction à la caissière celle-ci me fait remarquer que je ne suis pas dans le bon magasin... je suis chez Walmart! J'ai dû avoir la mine déconfite du musulman qui s'aperçoit qu'il vient d'avaler une saucisse pur porc! J'ai tout laissé là et suis parti.

Enfin, tout cela pour dire que j'ai profité de ce (très) long week-end pour mettre la touche finale à cette installation qui n'en finissait pas, trois mois exactement après mon arrivée. Et pour la première fois depuis des années (je ne sais même pas si c'était le cas lors de mon installation au Québec), je me retrouve avec plus d'espace de rangement que je n'ai de choses à ranger... Certes, de prime abord cela fait un peu bizarre, ces surfaces nues. Mais en même temps, quel soulagement! J'ai l'impression de respirer enfin après avoir suffoqué dans mes objets, mes papiers, mes livres. Cela me motive plus que jamais à respecter ma résolution : ne faire entrer chez moi aucun objet qui ne me soit indispensable. Tout un programme...

mercredi 17 novembre 2010

Rencontres

Il y a de ces journées où l’énergie manque et où il faut beaucoup se pousser pour aller à son cours d’abdos, tout seul en plus parce que S. (mon gym partner italien) soutenait sa thèse le matin même. Bien m’en a pris car après, je suis allé à la piscine avec l’intention de faire quelques longueurs sous l’eau, relax. Et ce que j’imaginais vaguement sans trop y croire s'est produit. J’ai attiré l’attention d’un autre passionné d’apnée, M., sicilien d’origine, ravi de trouver un autre apnéiste à Chicago. Sans mauvais jeu de mots, le courant est tout de suite bien passé de sorte que nous allons nous entraîner ensemble, moi avec mes palmes, lui sans, puisqu’il a laissé son matériel en Italie. Décidément, moi qui ai vécu 10 ans dans la Petite Italie à Montréal sans jamais me faire de pote italien, voilà que j’en rencontre deux par hasard en quelques semaines. Mais bon, vous allez me dire, quoi d’étonnant dans la ville d’Al Capone?

Quoi qu'il en soit, une première retombée positive à cette aventure à Chiacago, ce sont les rencontres qu’elle m’amène. Je dis bien « rencontres », et pas forcément « nouveaux amis » ou connaissances, car plusieurs de ces personnes venues d’ailleurs et nouvellement entrées dans ma vie vont quitter définitivement Chicago le mois prochain. Leur séjour ici s’achève tandis que le mien commence. Ce n’est pas le cas de tous, heureusement. Et notamment de ce cercle latino-américain que je commence aussi à fréquenter, composé entre autres de Colombiens (J., sa femme et des amis à eux) et d’un Uruguayen, A., également ami de J. (ils se sont connus au stage d'immersion des boursiers Fullbright à Philadelphie). Tous sont arrivés ici pratiquement en même temps que moi, qui pour faire sa maîtrise, qui son doctorat. C’est drôle, je m’étais justement dit que ce serait bien que je profite de mon séjour à Chicago pour raffraîchir mon espagnol, appris à l’école il y a bien longtemps et très vite oublié. Pourquoi Chicago? Parce que beaucoup de Mexicains y vivent et qu’on y parle espagnol partout.

Pour en revenir à ces rencontres qui me font justement penser au film L’Auberge espagnole, ce qui me frappe, c’est la proportion de ces étudiants-voyageurs qui n’ont aucune intention de retourner vivre dans leur pays d’origine, sans vouloir nécessairement rester aux États-Unis. Ainsi, M., en échange ici pour quelques mois (il termine une école d’ingénieur), n’a que du mépris pour les résidents de sa Sicile natale, qu’il a déjà quittée il y a deux ans pour Turin. Il est hors de question pour lui de retourner vivre en Italie. Mais il n’envisage pas non plus de faire sa vie aux États-Unis, pays dont il ne supporte pas le nombrilisme, le mode de vie consumériste, et l’absence de conscience écologique (comme moi, il est scandalisé par l'absence de recyclage à Chicago... j'y reviendrai). Et puis, habitué depuis son plus jeune âge à passer sa vie dans l’eau, la mer lui manque. Il envisage donc l’Australie, mais donne une chance à San Francisco, où il s'apprête à passer un mois, pour voir. C'est la seule ville américaine, dit-il, où il pourrait peut-être se retrouver. Chicago l’a déçu. Comme W., un autre « J1 » rencontré à la « réunion d’orientation » obligatoire des stagiaires étrangers, il espérait une vie sociale plus trépidante du fait qu’il avait choisi d’habiter les résidences étudiantes. Paradoxe : alors qu’il s’attendait à une vie de bringue, ses « room mates » sont si studieux qu’il n’a presque pas de contacts avec eux. Je m’étonne de ce contraste avec ma propre expérience. Je me demande si ma vie québécoise n’est pas pour beaucoup dans cette intégration jusqu’ici plus facile.

Mi-novembre déjà. Lentement mais sûrement, le temps gris et pluvieux s’installe. Les magasins mettent leurs vitrines et leur musique d’ambiance à l’heure de Noël. C’est aussi le temps des publicités pour le flu shot. Imaginez : vous faites vos courses dans votre supermarché favori. Entre le rayon des légumes et celui des alcools, vous passez par la pharmacie intégrée au magasin. Vous remplissez un questionnaire médical, vous passez à la caisse et payez 26,99 $, et hop! La pharmacienne vous injecte sur place votre vaccin contre la grippe. Ça n’a pas pris plus de dix minutes. Et en prime on vous remet des échantillons gratuits. Vous pouvez maintenant vous rendre à la caisse self-service pour régler vos autres achats. L'Amérique, c'est aussi cela: payez et obtenez ce que vous voulez, tout de suite. À condition bien sûr que ça s’achète, pour paraphraser le slogan d'une carte de crédit bien connue.

lundi 15 novembre 2010

En voiture

J’ai constamment remis à plus tard cette première sortie sur la route à Chicago. Je dois avouer que ma principale appréhension, outre la vague crainte de me perdre (je n’ai ni GPS ni carte routière de la région), est d’enfreindre je ne sais quelle règle locale du code de la route, de me faire arrêter par les flics, et de devoir payer une amende salée ou pire : de ne pas avoir les bonnes pièces d’identité sur moi (je n’ai que mon permis de conduire québécois dans mon portefeuille) et de me retrouver en taule. Vous dire que j’ai un préjugé défavorable envers les forces de l’ordre américaines serait pécher par euphémisme. Mais j’avais fait plusieurs démarches pour devenir membre de Zipcar et je ne voulais pas perdre les 50$ de crédit promotionnel que j’avais et qui allaient expirer. Sans parler qu’il fallait que je retourne certains articles chez Ikéa (prononcé « Aïe-ki-a » ici) avant les 3 mois fatidiques. Notamment des étagères dont le modèle ne me convenait pas.

Zipcar est un service d’autopartage (ou, si vous préférez, de « voiture à la demande ») similaire à Communauto (dont j’étais et suis toujours membre à Montréal), mais plus avancé technologiquement. La carte de membre vous sert à vous identifier auprès du véhicule, qui s’ouvre tout seul pour vous si vous êtes dans la plage horaire durant laquelle vous avez réservé le véhicule (les clés sont attachées au tableau de bord). Contrairement à Communauto, qui ne vous offre pratiquement que des Toyota Yaris, Zipcar a un parc diversifié : ça va de la Mazda 3 à la BMW en passant par le SUV. Mais bien sur, si vous optez pour la BM, ou si vous n’avez pas le choix parce que c’est la seule voiture disponible près de chez vous, ça va vous coûter pas mal plus cher que pour une Mazda! Il y a plusieurs services du même genre à Chicago, notamment I-GO, à but non lucratif. Mais j’ai opté pour celui qui me semblait le plus développé, le plus simple à utiliser, et aussi le moins cher : 7$ de l’heure, mais avec 180 km inclus par jour. Peut-être aussi ai-je craqué (inconsciemment) quand j’ai remarqué qu’ils avaient des Mazda 3 « hatchback », car je m'ennuie de mon ancienne voiture... il se trouve aussi que ce sont les moins chères. Chaque voiture a son petit nom, et la « mienne », une Mazda 3 bleu métallisé, s’appelle Margate et « dort » à deux pas de chez moi, dans le stationnement sous-terrain d’une tour donnant sur le front de lac.

Profitant d'un temps splendide, muni de mon itinéraire Google Maps, me voici sur la route, en direction de l’un des deux magasins Ikéa de la région de Chicago. Selon Google, il me faut prévoir de 45 à 55 minutes, en fonction de la circulation, pour parcourir la cinquantaine de kilomètres jusqu’à Schaumburg. Cela aura pris effectivement près de 55 minutes à l'aller, et ce, malgré une bonne portion d'autoroute! Une fois arrivé, premier constat : Ikéa USA ne conçoit pas vraiment qu’on aille « magasiner » chez eux tout seul. Je ne sais pas si c’est ainsi dans tous les Ikéa américains (ce n’est pas le cas à Montréal en tout cas), mais il vous est impossible de sortir les chariots (ou carosses, ou caddies comme vous voulez) d’un strict périmètre appelé « zone de chargement », pour l’amener jusqu’à l’endroit où est garée votre voiture. Vous devez obligatoirement amener votre véhicule dans cette zone, où vous ne pouvez bien sûr pas le laisser. Donc ça veut dire que si vous êtes tout seul, vous devez forcément laisser vos achats sans surveillance le temps d’aller chercher la voiture!

Je passe sur la course contre la montre dans le magasin savamment organisé pour vous égarer. Chez Ikéa l’espace-temps est dilaté (ou contracté) : vous pensez y passer 1 heure, et vous en ressortez 2, 3 heures après. Je constate, horrifié, qu’il me reste 45 minutes pour rapporter la voiture. Tout de suite en sortant du parking, je vois ce qui me semble être mon autoroute. Génial! Après tout, il arrive souvent que les entrées et sorties ne soient pas tout à fait au même niveau dans les deux sens. Prudemment, je m’engage sur ce qui semble être la bretelle d’accès ou voie de service, et un peu plus loin je vois effectivement le panneau  « Interstate 90 » ; je me dis que c’est bon. Puis j’aperçois un panneau avec une flèche vers la gauche et l’indication :

  NORTH
90 

Alors comme je sais que je vais vers le Sud-Est, je continue tout droit, me disant que par défaut, ma voie s’engage sur l’autoroute en direction Sud. ERREUR! En continuant tout droit je me suis retrouvé sur une toute autre autoroute (la 290, pas du tout indiquée jusque-là!). Je n’avais pas saisi que l’indication « NORTH » voulait dire que, si je voulais rebrousser chemin (donc aller vers le Nord), c’était par là que je pouvais le faire... le « 90 » indiquant simplement l’autouroute, toutes directions. Bien sûr, j’aurais dû me douter que quelque chose n’allait pas, puisque l’autoroute 90 va soit vers l’Ouest, soit vers l’Est. Avouez que ça peut être « mêlant ». Du coup, je me rends compte que je suis trop juste pour remettre le véhicule dans les délais. (J’ai une impression de déjà-vu en tapant ceci car c’est presque le même scénario que lors de ma première visite chez Ikéa ici, avec le camion loué par S.). J’appelle donc Zipcar pour prolonger ma réservation, mais le véhicule est déjà réservé. Et pour ne rien arranger, c’est vendredi après-midi et à 14h30 déjà, ça bouchonne sur l’autoroute vers Chicago. Et vlan! 50 dollars de frais de retard...  soit le montant du crédit.

Et la chute de cette « histoire de char » assommante ? J’ai trouvé les étagères que je voulais. Chacune pèse ses 45 livres, à monter au 3e étage. Une fois chez moi, bien décidé à en finir avec cette installation qui s'éternise, je commence à défaire l'emballage... pour m'apercevoir que je n'ai pas pris la bonne couleur! 

jeudi 11 novembre 2010

French in Chicago

La journée avait plutôt mal commencé. Le service informatique de l’université a suspendu mon accès Internet sur le campus parce qu’un de mes ordinateurs a chopé un ver en se baladant tout nu sur le réseau. C’est le genre de service totalitaire qui ne communique avec les usagers que par « ticket » . J’ai donc été puni et condamné au purgatoire jusqu’à nouvel ordre à moins de faire une longue liste de « devoirs ». Dont je me suis dispensé par la rhétorique, heureusement, en leur disant ce qu’ils voulaient entendre.

Entre temps, j’ai accepté l’invitation de S. à l’accompagner dans une activité sportive dirigée. S. est un doctorant italien en physique ou chimie, je ne sais plus, chez qui j’avais passé une soirée très conviviale en septembre à brasser de la bière en compagnie de collègues du département et d’une petite bande cosmopolite de joyeux drilles. S. fait du karaté et c'est l’archétype du playboy italien. Corps d’Appollon, regard ténébreux et sourire irrésistible, c’est aussi un animal social : il lui faut engeôler et relier les gens entre eux. Le mardi, habituellement, je vais à la piscine, mais ils ont coupé l’eau chaude après avoir découvert une fuite (ça me rappelle un certain centre sportif de l’Université de Montréal...). Alors je me suis joint à S. et à deux douzaines d’autres masochistes pour un « ab-lab » (littéralement : clinique d’abdos) d’une demi-heure, suivi d’une heure de muscu à deux. Petite parenthèse : la muscu (ou le « gym ») est une sorte de culture sans frontières (c’est vrai du moins pour l’Amérique du Nord), un code qui permet aux gars de « socialiser » entre eux en s’échangeant des politesses (« Can we switch ? », « Can you spot me ? »...), ou en se donnant trucs et conseils.

Après avoir bien sué sans pouvoir prendre de douche, j’ai pris l’autobus avec l’intention de me rendre directement chez moi. J’ai bien feuilleté un peu le programme du festival du film gay de Chicago qui bat son plein, mais je ne sais pas, j’y étais déjà allé la veille et les films projetés ce soir-là ne m’emballaient pas trop. Je n’ai pas vu que mon voisin  colombien, J., se trouvait presque en face de moi (j’étais assis sur ces sièges amovibles, à l’avant, qui font face aux fenêtres et qu’on peut donc rabattre pour libérer l’espace pour une chaise roulante). J’étais un peu gêné à l’idée que le jeune homme à côté de moi, le visage à moitié dissimulé par la capuche de son sweat-shirt gris mais que je sentais curieux, se rende compte que je m’intéressais au cinéma queer. Puis j’ai remarqué qu’il tenait dans ses mains un livre en français. Et pas n’importe lequel : L'Existentialisme et la sagesse des nations de Simone de Beauvoir. Une rapide analyse m’a mené à la conclusion qu’il ne pouvait s’agir que d’un Français venu faire ses études à Chicago. Est-ce le fait qu’il était seul et silencieux ou qu’il était mignon qui m’a poussé à engager la conversation ? Et à surmonter ainsi ma répulsion à parler aux Français que je croise ici ? Car je dois vous confesser quelque chose. J’entends régulièrement parler français dans les magasins de Lakeview et des environs : chez Walgreens’, à Treasure Island Foods, chez Target, et même chez Brown Elephant. Et je sais à leur accent qu’il s’agit de Français, et de Français installés ici, à voir ce qu’ils achètent. Comme ce couple qui avait déniché une jolie lampe chez Brown Elephant (voir : Installation). Et à chaque fois, un truc bizarre se produit : je bloque. Je me réfugie dans le mutisme. Comme si j’avais un peu honte d’eux. Comme si je n’avais surtout pas envie de fraterniser avec des gens parce qu’ils sont français. Je jouis aussi du plaisir de les écouter parler sans se douter qu’ils sont compris. Tout cela est d’autant plus étrange qu’à Montréal je parlais volontiers à mes compatriotes, surtout quand je comprenais qu’ils étaient fraîchement débarqués. Peut-être parce que j’avais beau jeu alors de leur montrer que moi, j’étais devenu local. Ou simplement par solidarité, pour le plaisir de renseigner. Mais à Chicago, on dirait que je les boudais. Alors que j’aurais volontiers parlé à des Québécois. Mais voilà, à part A., que je connais par l’université, point de Québécois. Ou du moins il ne courent pas les rues – contrairement aux Français, apparemment.

Je reviens à mon voisin de bus, à qui j’ai très gauchement articulé : « Are you French ? ». Et il alors il arrive une chose très étrange. Il me répond d’abord en anglais (avec un impeccable accent américain) que oui, il est français, alors je lui dis « Tu es français ? » et il répond « Oui, je suis français » mais avec encore un accent à couper au couteau. Et puis comme par magie l’accent s’évanouit dès la phrase suivante. On échange quelques mots et j’apprends qu’il est breton, étudiant en master de philo politique dans la même université que moi et qu’on a nos bureaux dans le même pavillon. Cela fait deux ans qu’il vit à Chicago, et auparavant, il a fait son premier cycle à Montréal... Petit monde.  Et puis il enchaîne en me demandant si je vais « à la soirée des Français ». Voyant mon air ahuri il m’explique, tout en se roulant une clope, que c’est là qu’il va, à une soirée organisée par l’association « Paris in Chicago », qui a lieu tous les 2e mardis du mois dans un endroit différent. Il pensait que c’était la raison de ma présence dans ce bus. Ce soir-là, ça se passe au café « Paris in Chicago », sur Halsted, dans Boystown, tout près de chez moi! Je lui demande si c’est un peu comme l’Alliance Française à Montréal (entendant par là vieille France guindée nostalgique du temps des colonies) mais il m’assure que non. Et qu’il ne manque pas une soirée. Sans plus hésiter je lui dis que oui, tout compte fait j’y vais, puisque c’est sur mon chemin. Et pendant le reste du trajet on a discuté des Français de Chicago (selon lui il y aurait « trois principaux groupes de Français » avec des ponts entre eux), mais aussi des Québécois et il n’est pas tendre. À ses yeux, les Québécois sont les meilleures personnes qu’on puisse rencontrer à l’étranger, mais chez eux, il sont haïssables. (Les Français, eux, sont haïssables partout ;-))

On arrive donc à « Paris in Chicago », qui fait plutôt penser à une cave de St-Germain-des-Prés. Une pièce carrée pas très grande où s’entasse une foule assez jeune et métissée. Il n’y a pas que des Français, mais aussi des francophones et francophiles de tout poil. L’ambiance est très bon enfant et conviviale. Pas de clans mais de petits cercles qui se forment et se défont au gré des conversations. Contre 12 $, on vous remet des coupons pour deux verres de vin et une entrée, une part de quiche ou un croque-monsieur au choix. Une américaine au teint mat dont c’est aussi la première fois m’accoste et me demande pourquoi les Français sont toujours en colère et si ça a un rapport avec le socialisme. Je m’esclaffe et lui réponds que c’est dans leur culture. Je dis que je suis aussi Canadien. Que je viens de Montréal. On en doute à mon accent. On me présente LE Québécois de la gang, D., un bleuet du Saguenay en poste ici depuis douze ans dans une grosse compagnie. Il se sent un peu seul comme Québécois. Alors même si je ne suis pas « pure laine », il m’adopte et me promet de me faire découvrir le meilleur comptoir de hots-dogs en ville. Le merlot descend bien. La quiche aussi, servie par le proprio du lieu, un Français, of course. On tire des prix de présence. Le tee-shirt d’un tournoi de foot organisé pendant la dernière Coupe du Monde. Un drapeau français grand format. Deux mecs entonnent la Marseillaise, mais sans trouver d’écho. J’explique à J., un traducteur-interprète qui a vécu à Paris, la signification du mot « abreuver » ; comme dans : « Qu’un sang impur abreuve nos sillons ». Il s’étonne. Je lui explique le contexte. Et que les gens aujourd’hui ont du mal à s’identifier à ces paroles. Il me demande si je préfère chanter l’hymne canadien. Je ne sais que répondre mais peu importe, il enchaîne en me disant que j’ai bien fait de venir seul à Chicago, que c’est la meilleure façon de s’intégrer parce qu’on est obligé de créer de nouveaux liens. Le temps file et déjà il faut se quitter, avec la promesse de se revoir.

vendredi 5 novembre 2010

Obama

Je vous avais dit que j’espérais une visite de Barack Obama dans le cadre de la course à la mairie de Chicago, mais la récente campagne électorale de mi-mandat lui en a fourni une occasion plus pressante. Samedi dernier, il est donc venu exhorter ses électeurs démocrates à aller voter, dans le cadre d’un événement organisé dans le parc « Midway Plaisance » bordant le campus de l’Université de Chicago, au Sud. J’ai eu vent de ce rassemblement appelé « rally » par une affichette épinglée sur un babillard près de la cafétéria du pavillon où je travaille.

Après avoir beaucoup tergiversé (j’avais pas mal de travail à faire ce week-end), j’ai fini par comprendre que je ne pouvais tout simplement pas être venu vivre à Chicago et manquer cette visite d’Obama dans sa « home town », a fortiori à ce moment critique de sa présidence, alors que le parti démocrate se préparait à un revers historique, et que cette sanction anticipée (et confirmée depuis) lui était directement imputée. Qui plus est, j’ai su que c’était la première fois qu’il s’adressait ainsi aux habitants de Chicago depuis la soirée historique de son élection il y a deux ans. Certes, j’ai manqué son investiture – sa consécration – mais il me semble que c’est dans les moments difficiles aussi que l’appui est nécessaire.

Et puis il y avait l’intérêt culturel, presque anthropologique, pour ce phénomène des grands rassemblements politiques aux États-Unis, et plus particulièrement autour de figures charismatiques. C’est une chose de le voir à la télé, c’en est une autre de le vivre sur place.

On nous avait prévenus d’éviter les sacs, les ordinateurs portables, etc., car nous aurions à subir des fouilles similaires à celles des aéroports. J’étais conscient du danger relatif que présente un tel événement. J’ai d’ailleurs un peu hésité à en parler au téléphone avec ma mère, alors hospitalisée. Elle était au courant des deux colis piégés interceptés avant qu’ils ne soient livrés à des synagogues de Chicago. Et personne ne doute qu’il y ait un lien avec Obama, peut-être même avec sa visite programmée, quoique relativement peu ou mal publicisée. Ce qui explique d’ailleurs peut-être en partie l’affluence visiblement moindre (environ 20 000 personnes) que celle escomptée par les organisateurs, si je me fie à l’espace inutilisé dans le périmètre aménagé pour accueillir la foule. Après tout, quelques jours avant lors de l’étape du même « rally » à Los Angeles, 35 000 personnes s’étaient déplacées.

Les « événements » gratuits ont un prix ; le temps qu’il faut sacrifier pour arriver suffisamment tôt pour espérer être pas trop mal placé. À cela s’ajoute les conditions parfois pénibles de l’attente, d’autant plus quand vous êtes seul, que personne ne peut vous « garder » votre place pendant que vous allez vous restaurer (lorsque c’est possible) ou soulager un besoin naturel. En ce sens, les manifestations de ce genre relèvent vraiment de la logique du don et du contre-don : le don de soi (de sa présence) dépasse parfois le sacrifice que l’on ferait en achetant un billet.

C’est donc presque à reculons, un peu découragé par le désistement et le témoignage d’A. qui m’avait dit avoir passé la nuit à faire la queue à Washington à la veille de l’investiture d’Obama, que je me suis lancé dans l’aventure, armé seulement de mon iPod avec l’itinéraire « pré-chargé » dedans. Et j’ai pu vérifier les dires d’une doctorante venue d’ailleurs comme moi, qui m’avait confié trouver Chicago décourageante par son immensité, par le fait que rien n’est à moins de 45 minutes, voire une heure de trajet. Durée prévue par Google du parcours en transport en commun de chez moi à l’Université de Chicago : 1h15!  Évidemment j’ai trouvé le moyen de me tromper, ne réalisant pas que la ligne verte se divise en deux branches au Sud. Et par malchance je n’étais pas dans le bon train. Et le temps de réaliser mon erreur, j’étais déjà à Perpète-les-Oies, dans un quartier complètement paumé. Pas de taxi. Une population 100% afro-américaine. Étrange comme on peut se sentir complètement dépaysé sans même avoir changé de ville. J’ai repensé alors à ce que m’avait déjà dit S. quand il m’a accueilli à Chicago : je n’ai rien à faire dans les quartiers du Sud et de l’Ouest, ce n’est pas ma place et je m’en apercevrai très vite. Ditto. Ou encore que Chicago est « patchy », c’est-à-dire que les quartiers sûrs voisinent avec les moins recommandables. Ce qui est le cas de l’Université de Chicago, enclave bourgeoise et élitiste au milieu de quartiers défavorisés – cette situation fut d’ailleurs propice à la naissance de la fameuse « école de Chicago » de sociologie.

Bref, j’ai fini par arriver à bon port et, curieusement, à rattraper mon retard simplement en arrivant par un autre chemin que celui que tout le monde prenait (merci Google!). Et comme j’étais seul, je me suis facilement inséré dans la file d’attente, sans doute grâce à la bonhomie des militants démocrates, qui ont fermé les yeux sur mon toupet.



À partir de là, tout s’est passé merveilleusement dans une ambiance euphorisante. J’appréhendais une atmosphère paranoïaque, des flics sur les dents. Il n’en fut rien. Impressionnants sur leur monture, les policiers à cheval se laissaient photographier complaisamment. Même les « men in black » avec leurs lunettes à la Keanu Reeves dans Matrix avaient le sourire aux lèvres. La foule elle-même m’a surpris par sa diversité : des jeunes, des vieux, des blancs, des noirs et des latinos, des étudiants, des chômeurs et des cadres avec Blackberry, bref, un joyeux mélange bariolé, d’autant plus que certains avaient déjà revêtu leur déguisement d’Halloween. Ajoutez à cela les artistes et les VIP invitées pour chauffer la foule : des musiciens, comme le rappeur Common, et des politiciens, en fait toutes les huiles démocrates du coin : le maire sortant Richard Daley, le candidat au poste de sénateur (défait), le gouverneur de l’Illinois, Pat Quinn, candidat à sa propre succession (et réélu d’extrême justesse), etc. Ce dernier nous a même exhortés à utiliser notre portable pour appeler chacun 5 électeurs dont on nous avait distribué les coordonnées, dans un blitz d’appels pour inciter les gens à voter démocrate... Enfin il est arrivé, avec son perpétuel sourire d’enfant candide. Et la magie a opéré. La foule a scandé son nom et puis a fait silence, un silence impressonnant pendant son discours. Vous ai-je dit qu’il ne m’est jamais venu à l’idée de me déplacer pour aller voir et entendre Mitterrand ou Chirac, encore moins Jean Chrétien ou Bernard Landry ? Mais lui, c’est différent. Je suis peut-être aveuglé par son charme, peut-être que je sourirai plus tard de ma naïveté. Je ne cherche pas trop à analyser mais de me trouver là, à cinquante mètres de lui, et l’entendre me parler, je dois l’avouer, j’en ai frissonné d’émotion. Car je l’admire et je me sentais privilégié d’être là. De vivre ce moment. Je nourris sans doute, comme tant de ces hommes et femmes afro-américains autour de moi dont les yeux brillaient de fierté, beaucoup trop d’espoirs envers cet homme qui dispose de si peu de temps pour tenter d’infléchir le cours de l’Histoire ; mais je ne peux m’empêcher de voir en lui un Hadrien du XXIe siècle. Un humaniste, un sage qui apportera peut-être un sursaut de paix et de stabilité dans un empire-monde au bord du chaos. 

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mardi 26 octobre 2010

Retour en ville

Me re-voilà dans le bus. Cette fois, le 152 Addison, direction Est, vers le lac, vers chez moi. Je l’ai pris au métro Addison-Blue, à quelques stations de l’aéroport O’Hare, fier d’avoir trouvé ce raccourci tout seul, car le trajet en métro à l’aller en passant par la « loop » fut interminable. Bref, ce long préambule pour expliquer mon silence de 8 jours, durant lesquels je participais à un congrès en Suède. Nouvel atterrissage donc, deux mois jour pour jour après mon arrivée. Et nouvelles formalités d'immigration, et nouveau petit papier dans mon passeport... Bref, en attendant le bus, je n’ai pu m’empêcher de sourire en voyant, face à l’arrêt de bus, un panneau indiquant que le Wrigley Field (le domicile des Cubs) se trouvait à 3,5 miles. Car au même moment j’étais en train d’ouvrir l’emballage d’un paquet de chewing-gums acheté à l’aéroport d’Arlanda (Stockholm) avec les dernières couronnes suédoises qu’il me restait. Et sur cet emballage, au dessus de la marque « Extra », on peut lire : « Wrigley’s », nom de la compagnie vénérable qui a donné son nom au stade Wrigley et au quartier Wrigleyville qui l’entoure. J’adore ce genre de coïncidences, ou plus exactement, ces rapprochements, ces mises en contact de lieux géographiquement distants dans lesquels je me suis déjà trouvé, d’autant plus si je les ai fréquentés à peu de temps d’intervalle. Réjouissante, fascinante mais aussi troublante impression d’une contraction de l’espace-temps, que le monde est de plus en plus petit, rond et recourbé sur lui-même. Que notre destinée est étroitement liée à celles de gens lointains. 

J’ai eu aussi l’impression en arrivant d’un retour dans le temps, au double sens du terme : chronologique et météorologique. Alors que la Suède était déjà au bord de l’hiver, sous la neige par endroits, Chicago semble encore hésiter entre l’été et l’automne. À moins que ces vents furieux qui font rage dehors aujourd’hui ne soient en train de chasser au loin ces derniers soupirs d'été.

vendredi 15 octobre 2010

Urbana

Dur, dur, de s’atteler à son blog. Surtout quand le temps semble s’accélérer à 36 heures de mon envol vers le pays d’Ikéa. Je sais que ce n’est pas très sympa pour ceux qui me lisent, mais pour moi, bloguer tient plutôt de la corvée et du gaspillage de temps. Mon penchant perfectionniste est mis à mal, car je ne peux pas trop me permettre de peaufiner chaque billet sinon je vais laisser tomber. (Je dois vous avouer que je ne peux m’empêcher de retoucher les messages après coup... ce qui est assez contraire à l’esprit de la chose... que voulez-vous.)

Sept semaines ont passé depuis mon arrivée dans la Cité des vents. Jusqu’à présent ça va plutôt bien. Les cycles se mettent en place. Trois lavages. Trois séances d’entraînement au gym. Deux séances de piscine. Un passage chez le coiffeur. (Pour les mauvais esprits je précise que cela fait deux semaines seulement que je suis inscrit au centre sportif de mon université ;-) Ça revenait moins cher si j’attendais le 1er octobre et avant c'était loin dans la liste des priorités.)

Bref, une routine s’installe et c’est ce dont j’ai besoin pour me concentrer sur des choses plus « sérieuses ». À propos, avant-hier j’ai fait ma première journée de terrain, au service des Archives de l’Université de l’Illinois. Le mot « terrain » convient assez bien dans ce cas parce que le campus d’Urbana-Champaign (mais il paraît qu’on dit maintenant Champaign-Urbana...) est vraiment situé au milieu des champs de maïs. Urbana et Champaign sont deux villes jumelles situées 220 km de Chicago, dixit Google qui sait tout. C’était d’ailleurs ma première sortie hors de Chicago, et la première fois que je prenais un train Amtrak. On a mis plus de 2h30 pour parcourir la distance sur l’Interstate 57 qui relie Chicago à Memphis. Les trains ici sont plutôt confortables, assez lents (parfois ils doivent se ranger sur une voie de service pour laisser passer les trains de marchandises, prioritaires!) et vraiment, mais vraiment pas chers : 14 $ plein tarif pour un aller simple! Au retour, j’ai pris un « mégabus » parce que l’horaire me convenait mieux, et c’était encore moins cher (11 $). « Megabus », c’est le nom de la compagnie, et il dit bien ce qu’il veut dire : ces cars à deux étages sont énormes. Du pont supérieur, on peut toiser les conducteurs de trucks, ce qui n’est pas peu dire surtout aux États-Unis.

L’UIUC, ou si vous préférez l’Université de l’Illinois – les étudiants portent fièrement des sweat-shirts sur lesquels figure seulement le nom de l’État – est une vénérable institution qui fêtera dans quelques années son 150e anniversaire, ce qui n’est pas banal pour une université publique (state university), c’est-à-dire qu’elle remonte pratiquement à la Guerre de Sécession.  Ça se sent à l’architecture, aux boiseries patinées que l’on retrouve dans le pavillon des archives, qui avait cette odeur et cette lumière des vieilles institutions qu’on associe plus volontiers à l’Europe. Le campus est si vaste, tentaculaire, ses édifices omniprésents, que c’est comme si l’université était devenue ville, avait enfanté la ville. Ça ne ressemble ni aux enclaves verdoyantes et bourgeoises comme le campus de McGill, ni au campus urbain à la manière de l’UQAM, université dans la ville. À Urbana, toutes les routes partent de et traversent l’université. D’ailleurs, le transport public, largement subventionné par l’université, est gratuit pour les étudiants et les employés. Pour les autres, un seul petit dollar suffit pour prendre le bus. À condition d’être patient car ils passent quand ça leur chante! (Et me revoilà encore à vous parler de bus... je sens que le tag associé dans le petit nuage de mots à côté va enfler démesurément si ça continue.)

En tout cas, S. était satisfait du bilan de mon excursion à la campagne. Je ne suis pas revenu bredouille. Un partenariat avec un prof là-bas serait même en train de se dessiner. Je suis content, car je suis passé par une phase de doute assez pénible dans ma relation avec mon superviseur. Car après m’avoir accordé tant d’attention et d’attentions durant les premiers temps de mon installation, il s’était fait plus distant voire indifférent au point que j’ai fini par penser que je l’avais déçu, qu’il s’attendait à ce que je sois plus brillant que ça. Je m’étais quand même raisonné en me disant que je m’étais emballé un peu vite, que les Nord-Américains sont comme ça : très chaleureux dans leur accueil, mais aussitôt qu’ils vous sentent sur les rails, ils vous laissent vous débrouiller, leur mission accomplie. Et vous qui vous imaginiez déjà proches amis! En fait il était probablement simplement et réellement débordé, comme l’est toujours un prof passionné par son travail. Une autre raison explique aussi cette anxiété que j’ai éprouvée vis-à-vis de lui : auparavant, mes directeurs de recherches m’apportaient leur connaissances théoriques, et moi je leur apportais ma connaissance pratique du terrain. L’échange était asymétrique, mais équilibré. Mais avec S., c’est différent. Son expertise du domaine des technologies émergentes est intimidante. Si bien que j’ai tendance à penser que je ne peux rien lui apprendre. Ça peut être démotivant, ou du moins insécurisant. Mais il paraît que le doute, c’est le ferment de l’apprentissage alors voilà, je suis dans le doute, j’apprends. Et au fond c’est pour ça que je suis ici.
(modifié le 16/10/2010)

mardi 12 octobre 2010

Été indien

Les chauffeurs de bus sont sympas quand même. Ils laissent monter et descendre les gens en dehors des arrêts officiels. Les usagers n’en abusent pas, mais tout de même. Il m’est arrivé quelques fois de rater le bus (quand je le vois tourner au coin de ma rue, il est trop tard), mais de le rattraper au feu rouge et d’y monter, à bout de souffle. On y trouve aussi toutes sortes de passagers, comme cette blatte (!) qui se promène sans vergogne sur la paroi près de mon siège!

L’été indien n’est pas une exclusivité québécoise. Nous avons en ce moment à Chicago l’un des plus beaux que j’aie connus en quinze ans d’Amérique. (La blatte se rapproche dangereusement du dossier de mon siège, mais opte finalement pour celui de la dame assise devant moi ; je l’ai à l’œil car je n’ai aucune envie qu’elle entre dans mon sac et me tienne compagnie au bureau... que je partage déjà avec un sympathique chargé de cours.)

Et que font les Chicagoens quand le soleil revient leur chauffer les fesses en plein mois d’octobre ? Ils sortent les parasols et vont à la plage. Il y a un chapelet de plages le long du Lac Michigan, et j’ai pu constater, en me promenant uptown avec un ami américain de passage et un ami à lui récemment installé à Chicago, qu’elles étaient assez achalandées ce week-end. (Cela fait un moment que je n’ai pas revu la blatte... la dame s’est levée mais un monsieur est venu la remplacer.)

Nous nous sommes attardés à Hollywood Beach, la plage gaie de Chicago. Je ne me suis pas baigné, c’était improvisé et je n’avais rien prévu pour la baignade. L’eau était glacée d’après B. qui s’est trempé les pieds, joyeux comme un enfant de se retrouver au bord de l’eau. Il faut dire que ce lac a des allures de mer. Tout y est : le sable fin, le ressac des vagues (OK, vaguelettes), les coquillages (des moules surtout mais aussi quelques gastéropodes effilés). J’ai même trouvé une pince (d’écrevisse? de crabe?) assez impressionnante. La prochaine fois, c’est sûr, je me mouille! 

jeudi 7 octobre 2010

Info

Juste quelques mots pour vous signaler l'ouverture d'une nouvelle section du blog intitulée En images. Elle apparaît sous l'onglet « Pages » dans la colonne de droite. Un autre regard sur ma vie à Chicago... Surveillez-la car je l'alimenterai régulièrement, parallèlement au blog principal (en tout cas j'essaierai ;-)).

mercredi 6 octobre 2010

Bouffe

C’est officiel : on crève de chaud dans cet autobus où le chauffage marche à fond alors qu'il fait 20 dehors. J’en ai parlé au chauffeur (!) qui dit qu’il n'y peut rien, que c’est « contrôlé par la mécanique ». Et les fenêtres sont verrouillées. J’en ai mal à la tête et au cœur. Bref, c’est pas l’idéal pour vous parler de... bouffe!

Je dois dire que je redoutais un peu cet aspect de ma vie à Chicago. Car durant mon séjour de reconnaissance en juin, j’avais constaté que les magasins d’alimentation (les vrais, pas les dépanneurs) se faisaient rares. On aperçoit bien le mot « FOOD » sur les enseignes des chaînes Walgreens et CVS mais comme ce sont avant tout des pharmacies (à l’américaine), à part des chips et du coke l’offre est assez limitée. En revanche, il y a des fast-foods partout et en tous genres. Au point que j’ai fini par me demander sérieusement si les habitants de Chicago se faisaient à manger ou s’ils achetaient leur repas tout cuit au coin de la rue. Je me revoyais à mon arrivée au Québec, dans le quartier Ville-Émard des années 90, à devoir m’alimenter de pain blanc tranché, de cheddar orange et de Seven-Up diète. J’exagère, mais à peine. La proximité d’un supermarché digne de ce nom s’est donc imposée comme critère no.1 pour le choix de mon appartement. À cet égard, les résidents de Lakeview Est sont particulièrement choyés : à quelques minutes de marche de distance se trouvent un magasin Treasure Island Foods (auto-proclamé « plus européen des supermarchés en Amérique »), un Whole Foods (supermarché spécialisé dans le bio à prix abordable) et un gros Jewel-Osco ouvert 24h/24. Petite anecdote au passage : lors de ma première visite à Chicago, mon superviseur de stage, S., m’avait indiqué les quartiers sympas sur un plan de métro qu’il avait imprimé. Il avait notamment entouré « Boystown ». Boystown, comme son nom le suggère, c’est le quartier des mecs (comprendre : gais) de Chicago (en fait, l’un des deux, car il y a aussi Andersonville, situé plus au nord, uptown). J’avais saisi la perche pour lui dire que bien qu’homo moi-même, ce n’était pas une priorité (euphémisme) pour moi que d’habiter dans le « ghetto » gay. J’ignore s’il y a un lien avec la clientèle du secteur, mais les trois grocery stores de Lakeview Est que je viens de vous citer sont tous situés au cœur de Boystown (qui ne couvre qu’une petite partie du territoire de Lakeview). Le cliché voulant que les gays soient plus portés à cuisiner ou plus raffinés (j’allais écrire fancy) dans leur alimentation serait-il fondé?

Toujours est-il que malgré cette abondance, manger sainement ici (et garder la ligne) n’est pas... une mince affaire justement. Par exemple, les fabricants ajoutent du sucre dans TOUT, à commencer par le pain! Chaque magasin a un rayon entier de pains tranchés. J’ai passé un temps fou à éplucher en vain les étiquettes chez Jewel et Whole Foods (au risque de passer pour un fou) à la recherche d’un pain sans sucre ajouté. Dans le meilleur des cas c’est du miel ou du malt (« pour l’équilibre », lit-on sur une étiquette), dans le pire, du sirop de maïs à haute teneur en fructose pudiquement appelé « corn syrup ». Et ce que l’on s’attend à trouver normalement sucré (un yaourt aux fruits par exemple, mais aussi du jambon au miel) s’avère hyper sucré. Dans le même ordre d’idées, je suis surpris par la quantité et l’enventail de produits chimiques qu’on retrouve dans les produits agroalimentaires. Au pays de Monsanto, on ne s’étonnera pas que l’aspartame, qui a quasiment disparu des étalages au Canada, soit omniprésent dans les produits « light ». Et quelle ne fut pas ma surprise, après avoir acheté ce que je croyais être des petits pois frais dans une barquette au rayon légumes, en découvrant la liste des ingrédients! Ça vaut son pesant de cacahuètes :

Ingrédients : Petits pois, eau, chlorure de sodium, bicarbonate de sodium, carbonate de sodium, tripolyphospohate, parabènes, colorants alimentaires certifiés FD&C dont Bleu no. 1, Rouge no. 40 et Jaune no. 5 (tartrazine).

Bon appétit!

dimanche 3 octobre 2010

Entre-deux

Je n’éprouve pas encore les affres de l’exil. (Car déménager dans un autre pays, seul, pour deux ans, c’est bien une forme d’exil, fût-il volontaire.) Je pensais que l’éloignement et l’isolement social qui l’accompagne seraient pénibles. Mais mis à part le fait que j’ai une vie sociale dans la journée à l’université (ce qui est déjà pas mal), à bien y penser, ma nouvelle vie n’est pas très différente de ma vie de thésard. La plupart de mes interactions sociales étaient déjà « médiatisées » : par le téléphone, le courriel, la messagerie instantanée ou encore Facebook, que ce soit avec ma famille en France, des amis dispersés de par le monde, et même ceux de Montréal voire de mon quartier! Des mois pouvaient ainsi se passer sans que je revoie certains d’entre eux en face à face. Donc pas de changement majeur perceptible de ce côté.

Et puis il y a la radio. Ces dernières années, la radio parlée de Radio-Canada était devenue ma bande-son, sept jours sur sept. Les Christiane Charette, Pierre Maisonneuve, Yanick Villedieu, Jacques Languirand, Jacques Bertrand (Ah! regrettée Macadam Tribus), Le Bigot et compagnie... se relayaient pour me tenir compagnie justement. Or, un petit tour de passe-passe technologique associant iPod, connexion Wi-Fi, station d’accueil ainsi qu’une petite application gratuite me permet d’écouter la radio par Internet exactement comme si c’était une banale radio FM -- car je déteste écouter la radio sur un ordinateur!

Si on ajoute à cela la lecture quotidienne de Cyberpresse sur mon iPod, on peut dire que j’ai reconstitué à Chicago mon univers informationnel, social et linguistique montréalais. Plus encore, c’est tout mon petit monde que j’ai transporté avec moi, si l’on inclut également la bouilloire, le thé, et jusqu’à certains aliments que je suis parvenu à retrouver ici me permettant de déguster tous les matins la réplique exacte de mon petit déjeûner québécois. Bien sûr tout cela n’est possible que dans la mesure où Montréal et Chicago sont deux villes, sinon tout à fait voisines, du moins très proches puisqu’elles appartiennent au même ensemble géographique, économique et culturel. Cela aurait été plus difficile si j’avais déménagé à Rio, Dakar, ou New Delhi. Quoique. Avec Ikéa, la génération mobile n’a plus besoin de déménager ses meubles. Elle peut reproduire à peu de choses près son intérieur n’importe où sur le globe. Ça change un peu les termes de l’exil. Et mon trajet quotidien en autobus est plus qu’un déplacement local d’un point A à un point B de Chicago. C’est un sas entre deux mondes : celui que j’ai apporté avec moi et celui auquel je tarde encore à m’abandonner. Comme quand on a encore pied et qu’on hésite à nager. 

jeudi 30 septembre 2010

Insider

Pour faire suite à mon dernier post... je me suis dirigé, comme hier, vers le terminus de l’autobus. Il n’était pas là. Un jeune homme à casquette attendait, clope au bec, assis dans l’abribus. Ce qui a attiré mon regard c’est le drapeau américain cousu à la manche droite de son blouson. Ça m’a intrigué. J’ai compris ensuite qu’il s’agissait d’un ambulancier. Pas un mot, pas un regard échangé, que la fumée de sa cigarette qui ne me gênait pas trop. Le bus se faisait attendre. J’ai donc sorti mon netbook et commencé à travailler. Entre temps, d’autres personnes étaient arrivées et attendaient, debout. (En passant : ici les gens ne forment pas une file d’attente disciplinée comme au Québec. C’est un peu brouillon, comme en France. D’ailleurs les piétons traversent un peu n’importe où, n’importe quand. Les flics ne disent rien, une voiture de police s’est même arrêtée pour me laisser traverser, un soir alors que je courais pour attraper... le bus. J’aime bien ce côté un peu indiscipliné des Chicagoens.) Finalement le bus est arrivé. Comme les gens ne se bousculaient pas pour monter, la chauffeure nous a crié de monter, avant de démarrer en trombe. Je l'ai reconnue: c’était la même que l’autre jour, qui râlait que les gens n’embarquaient pas assez vite... avant de leur dire d’attendre le bus suivant! Je vous dis qu'elle ne rigole pas celle-là...

Je suis au bureau, à l’université. Dans le bureau d’à côté, une prof vante Chicago à une étudiante potentielle. Je ne peux m’empêcher de tendre l’oreille, je suis curieux d’entendre ses « arguments de vente ». Prenant New York comme point de comparaison, elle explique que la ville est constituée de quartiers dans lesquels on se sent comme dans une petite ville et je dois admettre que c’est exactement ce que je ressens à Lakeview. Et, ajoute-t-elle, quand on souhaite plus d’action, le centre-ville n’est pas loin. Elle aligne les arguments « classiques » des Chicagoens faisant l’apologie de leur ville : elle est beaucoup plus abordable que d’autres villes américaines de même importance, le lac est magnifique, l’architecture extraordinaire. Elle a oublié de dire que c’était « la ville d’Obama ». Tiens, d’ailleurs, son bras droit à la Maison Blanche, Rahm Emanuel, vient d’annoncer qu’il quittait ses fonctions pour se porter candidat à la mairie de Chicago. Il va y avoir de l’action, et peut-être une visite d’Obama durant sa campagne? En tout cas, c’est un peu étrange de me retrouver témoin de cette conversation ; comme si j’étais passé de l’autre côté de la scène, dans les coulisses, et que je me sentais déjà un peu insider.

mercredi 29 septembre 2010

Transport en commun

Je suis dans le bus, en tête de ligne (ligne 8 ‘Halsted’ direction Sud). Le bus est à l’arrêt, le moteur tourne, la clim aussi (heureusement car la douceur est revenue et je suis habillé trop chaudement). Quelques clients sont déjà assis et attendent comme moi le retour du chauffeur et le départ du bus. Bien sûr j’ai présenté ma carte « RFID » au lecteur : 2$ sont débités à mon compte. Cela fait longtemps que je ne triche plus dans les transports en commun, et puis il y a toujours le risque de se faire contrôler. Le chauffeur, ou plutôt la chauffeure arrive, tenant à la main ce qui doit être un repas à emporter dans un emballage en polystyrène. La plupart des employés de la CTA auxquels j’ai affaire sont des femmes, african-american, un peu fortes (je ne tiens pas de statistiques, mais j’ai remarqué une très nette tendance à Chicago à ce que les emplois généralement considérés comme « subalternes » soient occupés par des personnes de race noire). Il faut du coffre (et du cran) pour faire ce job. L’autre jour, le bus n’a pas voulu redémarrer (vous ai-je dit que la flotte n’était pas toute jeune ?). La chauffeure a fait ce que vous et moi aurions fait : elle est sortie du bus, a pris son cellulaire et elle a appelé la dépanneuse. Les quelques passagers que nous étions demeurant assis sagement à nos places. Puis, quand le bus suivant est arrivé (ils sont espacés de 10 minutes en moyenne), elle nous a crié de nous dépêcher pour l’attraper. Quand un jeune homme a mis un peu trop de temps à accrocher son vélo au-dessus du pare-choc avant du bus (oui, c’est prévu pour), la chauffeure du 2e bus a pesté que la « ride » serait longue (c’était le début de l’heure de pointe) et qu’il aurait mieux fait de rester sur son vélo. Par la suite, il fallait la voir à chaque arrêt gueuler littéralement aux gens (sidérés) de ne pas monter dans le bus (déjà rempli) alors qu'un autre suivait de près...

Géré par la Chicago Transit Authority (CTA), le système de transport en commun fait les fierté des Chicagoans et à raison : c’est sans doute l’un des plus développés en Amérique du Nord. Il permet de vivre sans voiture à Chicago, ce qui est assez remarquable pour une mégapole américaine. Et de plus il n’est pas cher : 2$ par trajet si vous avez une « Chicago Card » (l’équivalent de la carte Opus pour les Montréalais), vingt-cinq cents de plus si vous achetez un ticket à l’unité. Et vous pouvez vous rendre en métro jusqu’à l’aéroport. Je dis le « métro », mais ici on l’appelle le « L », abbréviation de « elevated train ». Car en effet, sur l’essentiel du réseau c’est ce qu’on appellerait, en France, un métro aérien, circulant sur des voies surélevées qui enjambent littéralement les rues. Une vision saisissante, au centre-ville, est le surgissement d’un train entre deux gratte-ciel, comme s’il flottait dans le vide. Et cela arrive souvent si vous êtes à proximité de la « Loop », une ceinture de voies ferrées qui enserre le cœur du downtown et sur laquelle se rejoignent la plupart des lignes de métro (voir le plan). Une autre charactéristique du « L » est qu’il est désespérément lent et terriblement bruyant. Tout comme le train de banlieue appelé « Metra ». J’ai remarqué que beaucoup de gens ont leurs fenêtres pratiquement collées sur les voies. Je ne sais pas comment ils font pour supporter le bruit. Par contre, à certains endroits du centre-ville, les voies sont souterraines et le « L » devient « subway ». Il y a d’ailleurs un changement qui vous oblige à descendre d’abord des escaliers pour rejoindre la rue, puis à marcher quelques mètres jusqu’à une bouche de métro. Et malgré cette sortie en pleine rue, votre correspondance reste valide!

Quelques heures ont passé depuis le précédent paragraphe et me voici dans le bus du retour (plein), où vient d’éclater devant moi une rixe entre deux passagers, l’un, un peu éméché, sommant l’autre de descendre du bus pour régler ça dehors, le traitant de « bitch » et de « pussy » s’il ne s’exécutait pas. Après qu'il soit finalement descendu lui-même, la chauffeure (est-ce la même qu’à l’aller ? je ne sais pas) lui a refermé la porte au nez, ce qui a déclenché une vague d’approbation dans le bus. Ça aurait été le moment d’entendre la voix grave et omniprésente de « Monsieur CTA » nous rabâcher un message moralisateur : « Par courtoisie envers les autres passagers, ne posez pas vos effets personnels sur le siège à côté de vous, afin que d’autres passagers puissent s’asseoir ». Ou encore : « Il est interdit de manger, de pratiquer les jeux de hasard (!), de faire jouer de la musique, etc. etc. à bord des véhicules de la CTA ». D'ailleurs je me demande bien où ma chauffeure de tout-à-l’heure l'a dégusté, son plat à emporter. Sans blagues, je l’aime bien ce bonhomme-là : c’est le seul que je comprends 5/5 tellement il articule bien! D’après un internaute ce serait parce qu’il viendrait du Wisconsin -- État voisin réputé pour ses fromages et où les Chicagoens aisés ont leur cottage.

Ces incessants messages enregistrés sont loin d’être la seule surprise qui attend l’usager novice de la CTA. Par exemple, j’ai mis plusieurs jours à me procurer ma « carte mensuelle », simplement parce qu’elle n’est pas disponible dans les stations de métro (où vous ne pouvez transiger qu’avec des automates, une agente de sécurité étant là pour vous aider au besoin) mais seulement dans certains magasins de certaines chaînes de supermarchés comme les pharmacies Walgreens. Et quand j’ai demandé « la carte du mois de septembre », on m’a répondu que ça n’existait pas, mais que je pouvais acheter une carte valable 30 jours. C'est pratique mais ça s’avère finalement très peu avantageux financièrement. Une autre bizarrerie concerne le nom des stations. Elles sont nommées comme la rue transversale, comme c’est le cas aussi à Montréal. Le problème est que, comme certaines lignes sont parallèles entre elles (comme la Rouge et la Marron), certains noms se retrouvent deux, voire trois fois comme dans le cas des stations « Addison ». Il faut alors ajouter la couleur de la ligne au nom de la station pour éviter toute ambiguïté. J’habite donc à proximité de la station « Addison-Red ». Mais je vous laisse (si je ne vous ai pas déjà perdus!). Je ne me suis pas aperçu que j’étais le dernier passager dans le bus. Terminus, tout le monde descend!

dimanche 26 septembre 2010

Installation

Ma première carte de métro vient d’expirer à 17h30 précises. Juste le temps d’aller faire encore quelques emplettes au grand magasin Target, à quelques minutes d’autobus un peu au Nord de chez moi. Ça me donne envie de vous parler des bizarreries du transport en commun à Chicago, mais j’y reviendrai une autre fois.

Je suis encore dans cette dynamique de l’installation. Les magasins classiques (Ikéa, Target...), mais aussi les court sales (les garages sont rares dans le quartier), l'Armée du Salut, le Brown Elephant (une caverne d'Ali Baba à deux pas de chez moi), sans parler des petites annonces de Craigslist... Tout cela occupe bien mes week-ends. On peut presque parler de frénésie d’aménager cet appartement à mon goût. Sans doute parce que j’ai été frustré sur ce plan à Montréal, ne m’étant jamais vraiment approprié (en 6 ans!) ce « 5 et demi » que je n’aimais pas vraiment et que je trouvais trop grand... et surtout trop encombré dès le départ de tonnes de trucs inutiles amassés dans les logements précédents avec mon ex. J’en suis conscient et je m’efforce ici de résister à cette propension à accumuler, profitant de ce qu’une arrivée par avion m’a permis de faire table rase, de repartir à zéro. Comme me le disait mon ami D., le moment de l’acquisition est critique : une fois qu’un objet est entré « dans la cabane », c’est très dur de l’en faire sortir! Outre le fait que je sais que je ne suis ici qu’en transit (et parfois j’ai des doutes à voir comment je fais mon nid), je ne veux pas finir comme cette Américaine retraitée dont la maison a failli s’effondrer sous le poids de ses achats « en spécial » jamais déballés. Il faut dire que le cas était tellement extrême qu’Oprah lui aurait consacré deux émissions complètes! Oprah qui tire sa révérence, tout comme le maire de Chicago, l’omniprésent Richard Daley (son nom est partout jusque sur le dos des employés municipaux!), tous les deux d’ailleurs après un nombre d’années record à la barre de leurs navires respectifs. Sauf que celui de Chicago est en train, paraît-il, de sombrer dans les abysses d’un gouffre financier. Changement d’ère (d’air ?) en vue à Chicago, au moment où je m’y installe...

samedi 25 septembre 2010

Intro

Le quartier est étrangement silencieux pour un samedi soir. Pas de match des Cubs ni de concert au Wrigley Field. Les gradins sont vides, plongés dans le noir tandis que je longe le stade sur la rue Sheffield, jetant un regard au passage aux college boys and girls qui sirotent leur bière sur les marches de leur bloc et dont les éclats de voix constituent la seule animation de la rue à l'exception de ceux qui parviennent à percer les portes closes des bars. La ville porte bien son surnom de windy city ce soir. Cette frisquette soirée d'automne constraste singulièrement avec les deux journées de canicule (32°) qu'on a connues plus tôt dans la semaine. Je prends la rue Addison et je rejoins Clarke, où je retrouve la faune criarde de Wrigleyville. Je zieute l'intérieur des bars où s'étalent sur écran géant les casques bleus des footballeurs. À l'extérieur, des gars barraqués aux cheveux courts parlent fort et rigolent pendant que des filles pas frileuses tentent d'amadouer un doorman qui vérifie qu'elles ont bien 21 ans. Plus loin un car rempli de supporters des White Socks passe fenêtres ouvertes et les gens à l'intérieur scandent le nom de leur équipe favorite et exigent que je le scande avec eux. Je souris et je m'exécute. Je suis électrisé. Je me sens libre comme jamais.

Il y a un mois jour pour jour que j'ai débarqué à Chicago et j'ai trouvé qu'il était temps de me mettre à alimenter ce blog, sinon je sens que ce projet va rester lettre morte. Et puis c'est d'abord pour moi que je les écris, ces lignes. Pour garder une trace de ces moments (tiens j'entends encore une sirène, il faudra que je vous parle des sirènes assourdissante de Chicago, surtout la nuit), pour fixer ces instants où tout m'étonne encore, ce temps d'apprentissage et d'adaptation à ce nouvel environnement. Mon acclimatation à cette ville énorme, troisième d'Amérique, et qui pourtant semble si lointaine, si low profile ici, à Lakeview.

Un mois ça permet déjà de faire le point, d'avoir un semblant de recul. Vous allez dire que je me cherche des excuses et que c'est par pure procrastination que j'ai repoussé l'ouverture de ce blog. Pour ma défense je répondrai que j'ai toujours eu des réticences face à la pratique du blog. Au-delà de la question du dévoilement de soi, de l'impudeur, ce qui me pose le plus problème c'est l'idée de m'arrêter pour écrire ce que je vis, pour le partager. Car pendant que j'écris c'est comme si je mettais ma vie sur « pause » et à quoi bon? J'ai été marqué par cette phrase de Camus qui disait qu'il y a « un temps pour vivre, et un temps pour témoigner de vivre ». Peut-être qu'il est temps finalement que je témoigne. En tout cas, j'ai décidé de tenter l'expérience.