vendredi 25 février 2011

Vingt-cinq

Nouveau retour à Chicago, après 72 heures bien remplies (intensément conviendrait mieux) à Montréal. Étrange récurrence : j’atterris un 25 février, six mois jour pour jour après mon installation, le 25 août. Et pour les plus attentifs, je suis rentré de Suède un 25 octobre et cela m’avait déjà inspiré quelques lignes. Rien de tout cela n’est voulu, ou conscient, mais j’aime cette ponctuation « accidentelle » de mon séjour étatsunien par ces arrivées (ces retours) à l’aéroport O’Hare. Cette fois, j’ai eu un moment l’impression que c’était presque devenu une routine, un peu comme ces étudiants qui traversent le continent pour passer les vacances ou un long week-end chez eux. Comme Anabelle qui rentrait une fois par mois retrouver son mari à Montréal. Aussi banal que de prendre un TGV en France, d’autant que les avions utilisés par Air Canada pour ses vols entre Chicago et Montréal ou Toronto sont de minuscules jets régionaux : un couloir, deux sièges de chaque côté... on se croirait presque dans un train. Si ce n’était tous ce stress, tous ce temps qu’on perd, ces délais d’enregistrement, ces mesures de sécurité, la kyrielle de règles, de consignes, de gestes pour se déshabiller, se déchausser, vider ses poches, sortir l’ordinateur, entrer dans le scanner en levant les bras, pieds écartés, comme en état d’arrestation, puis se rhabiller en vitesse, attendre de passer la douane américaine à Toronto, et les gens qui courent parce qu’ils vont manquer leur correspondance pour Los Angeles ou San Francisco, et les barrières en tissu que des employés reconfigurent en fonction de l’engorgement des guichets, nous traitant comme des paquets sur une chaîne de triage.

« J’aime bien vos chaussures », m’a dit un agent quand j’ai passé la sécurité, désignant mes palmes de chasse. Il faut dire qu’avec leurs 92 cm elles ne passent pas inaperçues. J’ai souri et répondu qu’elles étaient parfaites pour le Lac Michigan. Ayant fait le voyage aller presque à vide, j’en ai profité pour ramener des trucs, dont ces palmes. Une « can » de sirop d’érable aussi, que j’avais en stock, même si j’ignore ce que je vais en faire encore. Malgré cet alourdissement de mes bagages, je me sens plus léger – ô combien – qu’à l’aller. Comme si ce retour était aussi un nouveau départ. 

mardi 15 février 2011

Taxi, suivez ce bus!

Je suis un peu à la course. Je ne veux pas manquer un séminaire qui s’annonce très intéressant. Le conférencier arrive tout spécialement du Massachusetts et a dû affronter toutes sortes de difficultés à cause de la tempête. C’est donc le cas de le dire : il est venu, contre vents et marées. Raison de plus, si j’ose dire, pour l’honorer de ma présence. En montant dans le bus, je lui demande si la circulation est encore ralentie par la neige. Il me répond qu’elle est  « smooth ». Je profite du trajet pour écrire un billet pour ce blog. Cette fois, c’est le récit de la tempête. Mes photos, prises et triées la veille, sont prêtes à mettre en ligne. Mais au cas où, les autres sont sur la carte-mémoire, laquelle est insérée dans l’ordinateur.

Absorbé, je ne vois pas le temps passer. Mon texte est presque terminé quand j’aperçois l’enseigne bleue du métro, la station qui dessert le campus Est de l’université. C’est là que je descends habituellement, même si cela me rallonge un peu car le bus s’arrête ensuite à l’entrée du campus. Je préfère en effet traverser le parc qui sépare l’université de l’autoroute, couper à travers champ, et profiter ainsi des rayons du soleil de l’après-midi, autrement arrêtés par les bâtiments du campus. Et au final, je gagne du temps, car le bus est souvent arrêté au feu rouge, ou retardé par le chargement et le déchargement de passagers prenant ou arrivant du métro. Toutefois, cette fois j’ai un soupçon d’hésitation. À deux moments. D’abord au moment de me lever de mon siège, car je me dis : à quoi bon me précipiter pour m’habiller, de toute façon, il y a sûrement trop de neige pour couper à travers le parc. Mais comme je sens que ça va traîner et que je ne veux pas arriver en retard, je décide quand même de descendre à cet arrêt. Je me dépêche donc de zipper mon manteau, j’enfile mon sac de sport sur les épaules, et finalement je prends le sac que je porte en bandoulière, et qui contient mes dossiers et mon netbook. Dehors, le soleil est éclatant et réchauffe. Là, j’ai une deuxième hésitation alors que le bus est encore à l’arrêt. Ai-je bien mes gants ? Ma tuque ? Oui. Je me lance alors dans la traversée du champ de neige. C’est plutôt facile, je n’ai qu’à mettre mes bottes dans les traces qui m’ont précédé. Je me dis que je prendrais bien quelques photos des gratte-ciel du centre-ville, avec la neige au premier plan, mais je n’ai pas le temps.

Trois, peut-être quatre minutes se sont écoulées quand j’arrive à la jonction du sentier improvisé et de la rue longeant l’université. C’est là que je réalise que mon sac est trop léger. Même pas besoin de l’ouvrir : je tâte, et ma crainte est confirmée. Mon sang ne fait qu’un tour, mais ma première réaction est de me dire que c’est cuit, qu’il n’y a plus rien à faire, qu’à me rendre à ma conférence. Mais non, dans un accès de pensée magique, je fais demi-tour et décide de me rendre (en courant) à l’arrêt de bus où, c’est maintenant une certitude, j’aurais dû descendre. Le bus a bien évidemment déjà disparu au loin. Sur la borne de l’arrêt de bus est indiqué le numéro de la CTA. J’appelle. Je rêve vaguement qu’ils appellent le chauffeur de mon bus par radio... Et je me dis qu’au moins, ils me diront la marche à suivre. Évidemment je rêve en couleur. Le numéro de la CTA sonne dans le vide.

C’est alors qu’une autre idée un peu folle me passe par la tête. J’aperçois un taxi qui attend que le feu passe au vert à l’intersection, je lui fais signe, je monte, et je lui explique que je cherche à rattraper le bus qui vient de partir. Et nous voilà lancés à sa poursuite. Mais comme il n’y a qu’une voie, impossible de dépasser, impossible donc de rattraper ledit bus, qu’on finit par deviner, au loin, nous fuyant tel un mirage dans le désert. Et puis une voiture de police se retrouve derrière nous. Si bien que pendant un long moment, mon chauffeur respecte scrupuleusement les limites de vitesse, ne passe pas quand le feu vire à l’orange, etc. Je perds de vue le bus. Je n’ai aucune idée du chemin qu’il reste encore à parcourir jusqu’au terminus, mais l’on voit toujours les arrêts s’égrener avec le numéro de ma ligne (8-Halsted). Je me dis qu’à chaque arrêt, mes chances de retrouver mon netbook diminuent exponentiellement. Mais seule chance est que le passager qui l’a trouvé l’ait remis au chauffeur.

Craignant que le bus termine sa « run » avant qu’on ne l’ait rattrapé et ne soit déjà reparti en sens inverse, je dévisage les chauffeurs des bus que l’on croise, essayant d’identifier le mien. Toujours pas de bus devant. Presque plus de voitures non plus. Nous sommes maintenant dans le Southside, les bâtiments sont plus épars, plus industriels. Les piétons plus rares. Les arrêts de bus déserts. Le chauffeur m’explique qu’en bout de ligne, le bus n’ayant presque plus de passagers, il doit filer à vive allure et qu’il a dû prendre de l’avance sur nous. Mais comme la police ne nous suit plus, il me promet d’aller plus vite et m’assure qu’on va le rattraper. Et finalement le voilà. On s’arrête derrière lui au feu rouge. Je dis au chauffeur de taxi de m’attendre et me précipite dans le bus, pour constater que quelque chose ne va pas. Ce n’est pas le bon chauffeur. Ce n’est pas le bon bus non plus (la disposition des sièges est différente). Très gentiment, le chauffeur, afro-américain comme la plupart des chauffeurs de cette ligne, m’explique que j’ai dû dépasser le bus en question, car à un point du parcours, il s’écarte momentanément de la rue Halsted pour se rendre à une station de métro sur la ligne orange. Il me donne aussi le numéro de l’un des deux garages où les chauffeurs de cette ligne déposent les objets trouvés quand ils ont fini leur service. Il me dit de l’appeler pour avoir le numéro de l’autre.

Je retourne à mon taxi. Le compteur indique déjà 15$. Les taxis sont vraiment bon marché à Chicago, mais je préfère arrêter les frais et prendre le bus que je vois approcher pour retourner à l’université. Il m’en aura coûté 20$ avec le pourboire, que j’ai voulu généreux. Dans le bus du retour j’ai appelé les deux garages en question. On m’a dit de rappeler en fin de journée. Je suis arrivé à temps pour assister à la fin du séminaire. Mais j’étais ailleurs, tétanisé. Je n’ai évidemment jamais eu de nouvelles de l’ordinateur, qui affiche pourtant mon nom lorsqu’on l’ouvre. Ce qui m’a fait le plus de peine, c’est finalement la perte de toutes les photos que j’ai prises depuis mon arrivée à Chicago. Les seules qui me restent sont celles qui illustrent ce blog.

samedi 5 février 2011

Tempête

Ces photos devaient être le clou de ce blog. Imaginez un peu : des voitures ensevelies sous un mètre de neige. Lake Shore Drive, la voie rapide bordant le lac, fermée à la circulation sauf pour les camions transportant la neige, et donc livrée aux piétons téméraires fous de joie de pouvoir ainsi l’enjamber allégrement pour accéder à Lincoln Park et aux berges sans avoir à emprunter le tunnel. Et les gens étaient nombreux à avoir pris congé, en ce lendemain de tempête (la 3e plus importante dans les annales de la ville). Et les chiens aussi, car Chicago est une ville de chiens. J’aurais aimé vous montrer ce teckel frigorifié malgré son manteau en tricot de laine avec le mot « BEARS » en grosses lettres dessus. Et surtout le lac, transformé en banquise, avec une couche de 25 cm de neige flottant à sa surface, discrètement fracturée par endroits, et l’on voyait comme des plaques tectoniques s’écarter ou se rapprocher imperceptiblement par les mouvements indolents d’une eau d’un bleu sombre et si calme après le déchaînement de la veille. Étendue blanche contrastant avec un ciel encore gris plomb vers l’Est, quoique bientôt déchiré en son milieu d’un grand lambeau d’azur, tandis qu’à l’Ouest, le ciel s’éclaircissait à mesure que l’heure avançait, se moutonnant de petits nuages gris formant une texture étrangement régulière, surréelle.

Les berges, à cet endroit, sont bétonnées, et échelonnées en gradins s’étirant à perte de vue. Plutôt laid, cet « ouvrage d’art » titanesque semble avoir été placé là pour tenir en respect un autre géant, brisant ses lames par son contour crénelé, les forçant à transformer leur course horizontale en jaillissements verticaux de gerbes d’écume, qui en retombant laisse au sol une mousse verdâtre que l’on retrouve desséchée par le vent. Ce jour-là, les « gradins » avaient disparu sous la glace et la neige, si bien qu’on n’aurait su dire, à vue d’œil, où s'arrêtait la berge et où commençait le lac. Et l’on croyait voir des gens marcher sur le lac alors que c’était pure illusion.

Mais revenons à cette fameuse tempête. Dans les jours qui l’ont précédée on ne parlait que d’elle. Dans tous les médias, y compris (tardivement) dans les courriels officiels de l’université, le même message : « Ne vous déplacez pas ; restez chez vous ! ». La veille, j’ai croisé un vieux prof déjà emmitouflé de pied en cap dans une énorme parka, me prédisant l’apocalypse. Il exagérait, mais cette fois, les prévisionnistes météo ont visé dans le mille. Cinquante centimètres de neige, et jusqu’à soixante dans mon secteur, près du lac. Un blizzard polaire avec des rafales atteignant 100 km/h et soulevant des vagues de plusieurs mètres sur le lac. Au moins 2000 vols annulés à l’aéroport O’Hare, plaque tournante en Amérique du Nord. Des automobilistes contraints de passer la nuit dans leur voiture, coincés sur la route avec 0 m de visibilité derrière des chasse-neige impuissants à dégager les rues tant la neige tombait dru par moments. Un voisin m’a dit qu’il lui avait fallu plus de 5 h pour rentrer chez lui en bus, alors que son trajet habituel ne prenait d’ordinaire qu’une trentaine de minutes.

J’ai donc drôlement bien fait de rester chez moi. Sans être vraiment inquiet, mais craignant une panne de courant, j’ai pris la précaution d’acheter quelques chandelles et du « bois » de chauffage (à combustion propre et fait de matières recyclées). Comme mon chauffage est entièrement électrique, je me suis dit que c’était une bonne occasion d’essayer ma cheminée. Bien m’en a pris. J’étais au chaud, dehors le vent faisait rage, mais ce n’était pas la première fois. Vers 22h, j’entends gronder le tonnerre et dehors, des éclairs illuminent par flashes un ciel déjà phosphorescent : par-dessus le marché, on avait droit à un orage! J’ai su par la suite que ce phénomène plutôt insolite en pleine tempête de neige portait le nom de « thundersnow ». Les lumières vacillent et je comprends qu’on ne s’en sortira pas à si bon compte. Vers 22h30, le courant saute pour de bon. Et là je me suis rappelé brusquement la tempête de verglas de 1998, au Québec. Et le chaos qui avait suivi, plongeant mon quartier dans l'obscurité pendant deux interminables semaines. J’ai réalisé à ce moment-là qu’il se pouvait très bien que nous soyons privés d’électricité pendant 24 ou 48 h ou même plus. Je me suis donc habillé chaudement, j’ai pris ma lampe de poche sur moi, et j’ai décidé de retourner chez Jewel-Osco (ouvert 24h/24), pour acheter davantage de chandelles et de combustible, ainsi que de la glace pour le congélateur et même de l'eau minérale (les usines de traitement des eaux ayant besoin d'électricité pour fonctionner). En fait, nous étions un de seuls pâtés de maison sans électricité. De l’autre côté de la rue, les entrées d’immeuble étaient éclairées. Et comme je l’espérais, le supermarché était bel et bien ouvert. Et contrairement à l’après-midi où c’était la cohue, il n’y avait presque personne. J'ai pu faire mes emplettes tranquillement. Et les rayons n'avaient pas été dévalisés...

Finalement, cette soirée passée seul à la chandelle et au coin du feu à écouter la radio sur batterie fut l’une des meilleures depuis longtemps. Malgré ou peut-être grâce à la vague appréhension que j’avais, hanté par le spectre de la « crise du verglas », surtout après avoir entendu le message enregistré de ComEd (Commonwealth Edison, la compagnie d’électricité), indiquant que des milliers de clients étaient dans le même cas et que, compte tenu des conditions « sévères », ils ne pouvaient annoncer aucun délai de rétablissement. (J’ai su par la suite que tout près de 200 000 clients, rien qu’à Chicago, avaient passé la nuit sans électricité et donc, pour certains, comme moi, sans chauffage.) Malgré tout, j’ai pu « surfer » sur le Net momentanément, en me connectant sur le réseau non sécurisé d’un voisin. Non, je n’ai pas pensé à bloguer à ce moment-là, ni à « tweeter ».

Le courant n’est revenu chez moi que vers midi et demi le lendemain (après 14 h de coupure donc), et je peux vous dire que je commençais à trouver le temps long… et l’air frisquet. J’ai décidé de sortir, car le vent était tombé et le soleil commençait à percer. Une énergie très particulière emplissait les rues. Les Québécois connaissent bien le phénomène : après une bonne bordée de neige, les adultes redeviennent des enfants. Les gens se sourient et se parlent dans la rue. Ils jouent. Se roulent dans la neige.

Par chance, très peu d’arbres ont été endommagés par la tempête, dans mon quartier du moins, sauf quelques-uns à Lincoln Park. J’étais surtout attiré par le lac. Car j’étais allé y faire un tour quelque temps auparavant, et je l’avais trouvé partiellement gelé. Malheureusement je n’avais pas apporté mon appareil photo. Cette fois je comptais bien me rattraper. J’ai appelé Jorge et Andrea. Je ne voulais pas qu’ils manquent ça. Heureusement car j’y suis retourné deux jours après et la banquise avait disparu. Évaporée. Ce sont les photos de Jorge qui illustrent ce billet (avec sa permission). Les miennes se sont volatilisées en même temps que mon netbook, dans des circonstances aussi stupides que rocambolesques que je vous raconterai la prochaine fois.

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