jeudi 30 septembre 2010

Insider

Pour faire suite à mon dernier post... je me suis dirigé, comme hier, vers le terminus de l’autobus. Il n’était pas là. Un jeune homme à casquette attendait, clope au bec, assis dans l’abribus. Ce qui a attiré mon regard c’est le drapeau américain cousu à la manche droite de son blouson. Ça m’a intrigué. J’ai compris ensuite qu’il s’agissait d’un ambulancier. Pas un mot, pas un regard échangé, que la fumée de sa cigarette qui ne me gênait pas trop. Le bus se faisait attendre. J’ai donc sorti mon netbook et commencé à travailler. Entre temps, d’autres personnes étaient arrivées et attendaient, debout. (En passant : ici les gens ne forment pas une file d’attente disciplinée comme au Québec. C’est un peu brouillon, comme en France. D’ailleurs les piétons traversent un peu n’importe où, n’importe quand. Les flics ne disent rien, une voiture de police s’est même arrêtée pour me laisser traverser, un soir alors que je courais pour attraper... le bus. J’aime bien ce côté un peu indiscipliné des Chicagoens.) Finalement le bus est arrivé. Comme les gens ne se bousculaient pas pour monter, la chauffeure nous a crié de monter, avant de démarrer en trombe. Je l'ai reconnue: c’était la même que l’autre jour, qui râlait que les gens n’embarquaient pas assez vite... avant de leur dire d’attendre le bus suivant! Je vous dis qu'elle ne rigole pas celle-là...

Je suis au bureau, à l’université. Dans le bureau d’à côté, une prof vante Chicago à une étudiante potentielle. Je ne peux m’empêcher de tendre l’oreille, je suis curieux d’entendre ses « arguments de vente ». Prenant New York comme point de comparaison, elle explique que la ville est constituée de quartiers dans lesquels on se sent comme dans une petite ville et je dois admettre que c’est exactement ce que je ressens à Lakeview. Et, ajoute-t-elle, quand on souhaite plus d’action, le centre-ville n’est pas loin. Elle aligne les arguments « classiques » des Chicagoens faisant l’apologie de leur ville : elle est beaucoup plus abordable que d’autres villes américaines de même importance, le lac est magnifique, l’architecture extraordinaire. Elle a oublié de dire que c’était « la ville d’Obama ». Tiens, d’ailleurs, son bras droit à la Maison Blanche, Rahm Emanuel, vient d’annoncer qu’il quittait ses fonctions pour se porter candidat à la mairie de Chicago. Il va y avoir de l’action, et peut-être une visite d’Obama durant sa campagne? En tout cas, c’est un peu étrange de me retrouver témoin de cette conversation ; comme si j’étais passé de l’autre côté de la scène, dans les coulisses, et que je me sentais déjà un peu insider.

mercredi 29 septembre 2010

Transport en commun

Je suis dans le bus, en tête de ligne (ligne 8 ‘Halsted’ direction Sud). Le bus est à l’arrêt, le moteur tourne, la clim aussi (heureusement car la douceur est revenue et je suis habillé trop chaudement). Quelques clients sont déjà assis et attendent comme moi le retour du chauffeur et le départ du bus. Bien sûr j’ai présenté ma carte « RFID » au lecteur : 2$ sont débités à mon compte. Cela fait longtemps que je ne triche plus dans les transports en commun, et puis il y a toujours le risque de se faire contrôler. Le chauffeur, ou plutôt la chauffeure arrive, tenant à la main ce qui doit être un repas à emporter dans un emballage en polystyrène. La plupart des employés de la CTA auxquels j’ai affaire sont des femmes, african-american, un peu fortes (je ne tiens pas de statistiques, mais j’ai remarqué une très nette tendance à Chicago à ce que les emplois généralement considérés comme « subalternes » soient occupés par des personnes de race noire). Il faut du coffre (et du cran) pour faire ce job. L’autre jour, le bus n’a pas voulu redémarrer (vous ai-je dit que la flotte n’était pas toute jeune ?). La chauffeure a fait ce que vous et moi aurions fait : elle est sortie du bus, a pris son cellulaire et elle a appelé la dépanneuse. Les quelques passagers que nous étions demeurant assis sagement à nos places. Puis, quand le bus suivant est arrivé (ils sont espacés de 10 minutes en moyenne), elle nous a crié de nous dépêcher pour l’attraper. Quand un jeune homme a mis un peu trop de temps à accrocher son vélo au-dessus du pare-choc avant du bus (oui, c’est prévu pour), la chauffeure du 2e bus a pesté que la « ride » serait longue (c’était le début de l’heure de pointe) et qu’il aurait mieux fait de rester sur son vélo. Par la suite, il fallait la voir à chaque arrêt gueuler littéralement aux gens (sidérés) de ne pas monter dans le bus (déjà rempli) alors qu'un autre suivait de près...

Géré par la Chicago Transit Authority (CTA), le système de transport en commun fait les fierté des Chicagoans et à raison : c’est sans doute l’un des plus développés en Amérique du Nord. Il permet de vivre sans voiture à Chicago, ce qui est assez remarquable pour une mégapole américaine. Et de plus il n’est pas cher : 2$ par trajet si vous avez une « Chicago Card » (l’équivalent de la carte Opus pour les Montréalais), vingt-cinq cents de plus si vous achetez un ticket à l’unité. Et vous pouvez vous rendre en métro jusqu’à l’aéroport. Je dis le « métro », mais ici on l’appelle le « L », abbréviation de « elevated train ». Car en effet, sur l’essentiel du réseau c’est ce qu’on appellerait, en France, un métro aérien, circulant sur des voies surélevées qui enjambent littéralement les rues. Une vision saisissante, au centre-ville, est le surgissement d’un train entre deux gratte-ciel, comme s’il flottait dans le vide. Et cela arrive souvent si vous êtes à proximité de la « Loop », une ceinture de voies ferrées qui enserre le cœur du downtown et sur laquelle se rejoignent la plupart des lignes de métro (voir le plan). Une autre charactéristique du « L » est qu’il est désespérément lent et terriblement bruyant. Tout comme le train de banlieue appelé « Metra ». J’ai remarqué que beaucoup de gens ont leurs fenêtres pratiquement collées sur les voies. Je ne sais pas comment ils font pour supporter le bruit. Par contre, à certains endroits du centre-ville, les voies sont souterraines et le « L » devient « subway ». Il y a d’ailleurs un changement qui vous oblige à descendre d’abord des escaliers pour rejoindre la rue, puis à marcher quelques mètres jusqu’à une bouche de métro. Et malgré cette sortie en pleine rue, votre correspondance reste valide!

Quelques heures ont passé depuis le précédent paragraphe et me voici dans le bus du retour (plein), où vient d’éclater devant moi une rixe entre deux passagers, l’un, un peu éméché, sommant l’autre de descendre du bus pour régler ça dehors, le traitant de « bitch » et de « pussy » s’il ne s’exécutait pas. Après qu'il soit finalement descendu lui-même, la chauffeure (est-ce la même qu’à l’aller ? je ne sais pas) lui a refermé la porte au nez, ce qui a déclenché une vague d’approbation dans le bus. Ça aurait été le moment d’entendre la voix grave et omniprésente de « Monsieur CTA » nous rabâcher un message moralisateur : « Par courtoisie envers les autres passagers, ne posez pas vos effets personnels sur le siège à côté de vous, afin que d’autres passagers puissent s’asseoir ». Ou encore : « Il est interdit de manger, de pratiquer les jeux de hasard (!), de faire jouer de la musique, etc. etc. à bord des véhicules de la CTA ». D'ailleurs je me demande bien où ma chauffeure de tout-à-l’heure l'a dégusté, son plat à emporter. Sans blagues, je l’aime bien ce bonhomme-là : c’est le seul que je comprends 5/5 tellement il articule bien! D’après un internaute ce serait parce qu’il viendrait du Wisconsin -- État voisin réputé pour ses fromages et où les Chicagoens aisés ont leur cottage.

Ces incessants messages enregistrés sont loin d’être la seule surprise qui attend l’usager novice de la CTA. Par exemple, j’ai mis plusieurs jours à me procurer ma « carte mensuelle », simplement parce qu’elle n’est pas disponible dans les stations de métro (où vous ne pouvez transiger qu’avec des automates, une agente de sécurité étant là pour vous aider au besoin) mais seulement dans certains magasins de certaines chaînes de supermarchés comme les pharmacies Walgreens. Et quand j’ai demandé « la carte du mois de septembre », on m’a répondu que ça n’existait pas, mais que je pouvais acheter une carte valable 30 jours. C'est pratique mais ça s’avère finalement très peu avantageux financièrement. Une autre bizarrerie concerne le nom des stations. Elles sont nommées comme la rue transversale, comme c’est le cas aussi à Montréal. Le problème est que, comme certaines lignes sont parallèles entre elles (comme la Rouge et la Marron), certains noms se retrouvent deux, voire trois fois comme dans le cas des stations « Addison ». Il faut alors ajouter la couleur de la ligne au nom de la station pour éviter toute ambiguïté. J’habite donc à proximité de la station « Addison-Red ». Mais je vous laisse (si je ne vous ai pas déjà perdus!). Je ne me suis pas aperçu que j’étais le dernier passager dans le bus. Terminus, tout le monde descend!

dimanche 26 septembre 2010

Installation

Ma première carte de métro vient d’expirer à 17h30 précises. Juste le temps d’aller faire encore quelques emplettes au grand magasin Target, à quelques minutes d’autobus un peu au Nord de chez moi. Ça me donne envie de vous parler des bizarreries du transport en commun à Chicago, mais j’y reviendrai une autre fois.

Je suis encore dans cette dynamique de l’installation. Les magasins classiques (Ikéa, Target...), mais aussi les court sales (les garages sont rares dans le quartier), l'Armée du Salut, le Brown Elephant (une caverne d'Ali Baba à deux pas de chez moi), sans parler des petites annonces de Craigslist... Tout cela occupe bien mes week-ends. On peut presque parler de frénésie d’aménager cet appartement à mon goût. Sans doute parce que j’ai été frustré sur ce plan à Montréal, ne m’étant jamais vraiment approprié (en 6 ans!) ce « 5 et demi » que je n’aimais pas vraiment et que je trouvais trop grand... et surtout trop encombré dès le départ de tonnes de trucs inutiles amassés dans les logements précédents avec mon ex. J’en suis conscient et je m’efforce ici de résister à cette propension à accumuler, profitant de ce qu’une arrivée par avion m’a permis de faire table rase, de repartir à zéro. Comme me le disait mon ami D., le moment de l’acquisition est critique : une fois qu’un objet est entré « dans la cabane », c’est très dur de l’en faire sortir! Outre le fait que je sais que je ne suis ici qu’en transit (et parfois j’ai des doutes à voir comment je fais mon nid), je ne veux pas finir comme cette Américaine retraitée dont la maison a failli s’effondrer sous le poids de ses achats « en spécial » jamais déballés. Il faut dire que le cas était tellement extrême qu’Oprah lui aurait consacré deux émissions complètes! Oprah qui tire sa révérence, tout comme le maire de Chicago, l’omniprésent Richard Daley (son nom est partout jusque sur le dos des employés municipaux!), tous les deux d’ailleurs après un nombre d’années record à la barre de leurs navires respectifs. Sauf que celui de Chicago est en train, paraît-il, de sombrer dans les abysses d’un gouffre financier. Changement d’ère (d’air ?) en vue à Chicago, au moment où je m’y installe...

samedi 25 septembre 2010

Intro

Le quartier est étrangement silencieux pour un samedi soir. Pas de match des Cubs ni de concert au Wrigley Field. Les gradins sont vides, plongés dans le noir tandis que je longe le stade sur la rue Sheffield, jetant un regard au passage aux college boys and girls qui sirotent leur bière sur les marches de leur bloc et dont les éclats de voix constituent la seule animation de la rue à l'exception de ceux qui parviennent à percer les portes closes des bars. La ville porte bien son surnom de windy city ce soir. Cette frisquette soirée d'automne constraste singulièrement avec les deux journées de canicule (32°) qu'on a connues plus tôt dans la semaine. Je prends la rue Addison et je rejoins Clarke, où je retrouve la faune criarde de Wrigleyville. Je zieute l'intérieur des bars où s'étalent sur écran géant les casques bleus des footballeurs. À l'extérieur, des gars barraqués aux cheveux courts parlent fort et rigolent pendant que des filles pas frileuses tentent d'amadouer un doorman qui vérifie qu'elles ont bien 21 ans. Plus loin un car rempli de supporters des White Socks passe fenêtres ouvertes et les gens à l'intérieur scandent le nom de leur équipe favorite et exigent que je le scande avec eux. Je souris et je m'exécute. Je suis électrisé. Je me sens libre comme jamais.

Il y a un mois jour pour jour que j'ai débarqué à Chicago et j'ai trouvé qu'il était temps de me mettre à alimenter ce blog, sinon je sens que ce projet va rester lettre morte. Et puis c'est d'abord pour moi que je les écris, ces lignes. Pour garder une trace de ces moments (tiens j'entends encore une sirène, il faudra que je vous parle des sirènes assourdissante de Chicago, surtout la nuit), pour fixer ces instants où tout m'étonne encore, ce temps d'apprentissage et d'adaptation à ce nouvel environnement. Mon acclimatation à cette ville énorme, troisième d'Amérique, et qui pourtant semble si lointaine, si low profile ici, à Lakeview.

Un mois ça permet déjà de faire le point, d'avoir un semblant de recul. Vous allez dire que je me cherche des excuses et que c'est par pure procrastination que j'ai repoussé l'ouverture de ce blog. Pour ma défense je répondrai que j'ai toujours eu des réticences face à la pratique du blog. Au-delà de la question du dévoilement de soi, de l'impudeur, ce qui me pose le plus problème c'est l'idée de m'arrêter pour écrire ce que je vis, pour le partager. Car pendant que j'écris c'est comme si je mettais ma vie sur « pause » et à quoi bon? J'ai été marqué par cette phrase de Camus qui disait qu'il y a « un temps pour vivre, et un temps pour témoigner de vivre ». Peut-être qu'il est temps finalement que je témoigne. En tout cas, j'ai décidé de tenter l'expérience.