vendredi 5 novembre 2010

Obama

Je vous avais dit que j’espérais une visite de Barack Obama dans le cadre de la course à la mairie de Chicago, mais la récente campagne électorale de mi-mandat lui en a fourni une occasion plus pressante. Samedi dernier, il est donc venu exhorter ses électeurs démocrates à aller voter, dans le cadre d’un événement organisé dans le parc « Midway Plaisance » bordant le campus de l’Université de Chicago, au Sud. J’ai eu vent de ce rassemblement appelé « rally » par une affichette épinglée sur un babillard près de la cafétéria du pavillon où je travaille.

Après avoir beaucoup tergiversé (j’avais pas mal de travail à faire ce week-end), j’ai fini par comprendre que je ne pouvais tout simplement pas être venu vivre à Chicago et manquer cette visite d’Obama dans sa « home town », a fortiori à ce moment critique de sa présidence, alors que le parti démocrate se préparait à un revers historique, et que cette sanction anticipée (et confirmée depuis) lui était directement imputée. Qui plus est, j’ai su que c’était la première fois qu’il s’adressait ainsi aux habitants de Chicago depuis la soirée historique de son élection il y a deux ans. Certes, j’ai manqué son investiture – sa consécration – mais il me semble que c’est dans les moments difficiles aussi que l’appui est nécessaire.

Et puis il y avait l’intérêt culturel, presque anthropologique, pour ce phénomène des grands rassemblements politiques aux États-Unis, et plus particulièrement autour de figures charismatiques. C’est une chose de le voir à la télé, c’en est une autre de le vivre sur place.

On nous avait prévenus d’éviter les sacs, les ordinateurs portables, etc., car nous aurions à subir des fouilles similaires à celles des aéroports. J’étais conscient du danger relatif que présente un tel événement. J’ai d’ailleurs un peu hésité à en parler au téléphone avec ma mère, alors hospitalisée. Elle était au courant des deux colis piégés interceptés avant qu’ils ne soient livrés à des synagogues de Chicago. Et personne ne doute qu’il y ait un lien avec Obama, peut-être même avec sa visite programmée, quoique relativement peu ou mal publicisée. Ce qui explique d’ailleurs peut-être en partie l’affluence visiblement moindre (environ 20 000 personnes) que celle escomptée par les organisateurs, si je me fie à l’espace inutilisé dans le périmètre aménagé pour accueillir la foule. Après tout, quelques jours avant lors de l’étape du même « rally » à Los Angeles, 35 000 personnes s’étaient déplacées.

Les « événements » gratuits ont un prix ; le temps qu’il faut sacrifier pour arriver suffisamment tôt pour espérer être pas trop mal placé. À cela s’ajoute les conditions parfois pénibles de l’attente, d’autant plus quand vous êtes seul, que personne ne peut vous « garder » votre place pendant que vous allez vous restaurer (lorsque c’est possible) ou soulager un besoin naturel. En ce sens, les manifestations de ce genre relèvent vraiment de la logique du don et du contre-don : le don de soi (de sa présence) dépasse parfois le sacrifice que l’on ferait en achetant un billet.

C’est donc presque à reculons, un peu découragé par le désistement et le témoignage d’A. qui m’avait dit avoir passé la nuit à faire la queue à Washington à la veille de l’investiture d’Obama, que je me suis lancé dans l’aventure, armé seulement de mon iPod avec l’itinéraire « pré-chargé » dedans. Et j’ai pu vérifier les dires d’une doctorante venue d’ailleurs comme moi, qui m’avait confié trouver Chicago décourageante par son immensité, par le fait que rien n’est à moins de 45 minutes, voire une heure de trajet. Durée prévue par Google du parcours en transport en commun de chez moi à l’Université de Chicago : 1h15!  Évidemment j’ai trouvé le moyen de me tromper, ne réalisant pas que la ligne verte se divise en deux branches au Sud. Et par malchance je n’étais pas dans le bon train. Et le temps de réaliser mon erreur, j’étais déjà à Perpète-les-Oies, dans un quartier complètement paumé. Pas de taxi. Une population 100% afro-américaine. Étrange comme on peut se sentir complètement dépaysé sans même avoir changé de ville. J’ai repensé alors à ce que m’avait déjà dit S. quand il m’a accueilli à Chicago : je n’ai rien à faire dans les quartiers du Sud et de l’Ouest, ce n’est pas ma place et je m’en apercevrai très vite. Ditto. Ou encore que Chicago est « patchy », c’est-à-dire que les quartiers sûrs voisinent avec les moins recommandables. Ce qui est le cas de l’Université de Chicago, enclave bourgeoise et élitiste au milieu de quartiers défavorisés – cette situation fut d’ailleurs propice à la naissance de la fameuse « école de Chicago » de sociologie.

Bref, j’ai fini par arriver à bon port et, curieusement, à rattraper mon retard simplement en arrivant par un autre chemin que celui que tout le monde prenait (merci Google!). Et comme j’étais seul, je me suis facilement inséré dans la file d’attente, sans doute grâce à la bonhomie des militants démocrates, qui ont fermé les yeux sur mon toupet.



À partir de là, tout s’est passé merveilleusement dans une ambiance euphorisante. J’appréhendais une atmosphère paranoïaque, des flics sur les dents. Il n’en fut rien. Impressionnants sur leur monture, les policiers à cheval se laissaient photographier complaisamment. Même les « men in black » avec leurs lunettes à la Keanu Reeves dans Matrix avaient le sourire aux lèvres. La foule elle-même m’a surpris par sa diversité : des jeunes, des vieux, des blancs, des noirs et des latinos, des étudiants, des chômeurs et des cadres avec Blackberry, bref, un joyeux mélange bariolé, d’autant plus que certains avaient déjà revêtu leur déguisement d’Halloween. Ajoutez à cela les artistes et les VIP invitées pour chauffer la foule : des musiciens, comme le rappeur Common, et des politiciens, en fait toutes les huiles démocrates du coin : le maire sortant Richard Daley, le candidat au poste de sénateur (défait), le gouverneur de l’Illinois, Pat Quinn, candidat à sa propre succession (et réélu d’extrême justesse), etc. Ce dernier nous a même exhortés à utiliser notre portable pour appeler chacun 5 électeurs dont on nous avait distribué les coordonnées, dans un blitz d’appels pour inciter les gens à voter démocrate... Enfin il est arrivé, avec son perpétuel sourire d’enfant candide. Et la magie a opéré. La foule a scandé son nom et puis a fait silence, un silence impressonnant pendant son discours. Vous ai-je dit qu’il ne m’est jamais venu à l’idée de me déplacer pour aller voir et entendre Mitterrand ou Chirac, encore moins Jean Chrétien ou Bernard Landry ? Mais lui, c’est différent. Je suis peut-être aveuglé par son charme, peut-être que je sourirai plus tard de ma naïveté. Je ne cherche pas trop à analyser mais de me trouver là, à cinquante mètres de lui, et l’entendre me parler, je dois l’avouer, j’en ai frissonné d’émotion. Car je l’admire et je me sentais privilégié d’être là. De vivre ce moment. Je nourris sans doute, comme tant de ces hommes et femmes afro-américains autour de moi dont les yeux brillaient de fierté, beaucoup trop d’espoirs envers cet homme qui dispose de si peu de temps pour tenter d’infléchir le cours de l’Histoire ; mais je ne peux m’empêcher de voir en lui un Hadrien du XXIe siècle. Un humaniste, un sage qui apportera peut-être un sursaut de paix et de stabilité dans un empire-monde au bord du chaos. 

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