mardi 21 juin 2011

Chicago Blues

En marchant sous la pluie dans la moiteur orageuse du premier soir de l’été pour aller recharger ma Chicago Card avant de me retrouver à sec, je lève un instant les yeux vers la tour Willis, qui domine, majestueuse, le campus de l’université, perçant le ciel de ses lances de lumière blanche et je m’exclame : « Dire que je n’ai jamais mis les pieds dans cette tour! ».

Les événements se sont bousculés durant ces longues semaines de désertion de mon blogue. Combien ? Six semaines déjà ? Il y a des moments où la vie s’accélère et reprend ses droits sur l’écriture « libre », surtout s’il faut écrire par contrainte pendant ce temps. Je l’avais dit en ouvrant ce blogue : un temps pour vivre, un temps pour en témoigner écrivait Camus. Et il faut bien caser le travail dans tout ça.

J’ai donc fini par décrocher un poste que je n’attendais plus. C’était au retour d’un énième voyage au Nord de la frontière. Cette fois-ci, j’ai fait le trajet aller par la route, et même par les petites routes, avec mon ami P. Nous sommes passés par Détroit (une ville ravagée par la crise, avec des tours placardées en plein centre-ville), puis par les chutes du Niagara, sans autre intérêt que l’excès. Démesure des chiffres (150 millions de litres d’eau à la minute pour la chute principale...), et surenchère de mauvais goût architectural. À côté, la Côte d’Azur est une réussite en termes d’intégration du développement immobilier au paysage. Mais je m’égare. Si je m’attarde à évoquer ce voyage, c’est qu’il m’a permis de prendre toute la mesure de la distance entre Chicago et Montréal (1200 km à vol d’oiseau) comme ni l’autoroute, ni encore moins les autobus du ciel d’Air Canada ne permettent de le faire. Pendant trois jours pleins nous nous sommes relayés au volant, prenant, comme je le disais, le temps de s’arrêter, de voir, de goûter, d’apprécier les lentes transformations du paysage au fil de ce chemin qu’ont emprunté, dans l’autre sens, les premiers colons, depuis le pourtour marécageux du Lac Michigan jusqu’aux abords du Lac Érié en passant par l’interminable enfilade de champs cultivés et leurs dinausauresques arrosoirs géants, sur des routes de campagne où parfois débouchait la voiture à cheval d’un Amish, flambant neuve et pourtant anachronique.

Au retour (par avion cette fois), un message m’attendait sur ma boîte vocale chicagolaise. En gros, j’avais un peu moins de deux mois pour plier bagages, trouver un repreneur pour mon appartement à Chicago, trouver un nouveau logement au Québec, etc., tout en enchaînant trois congrès en trois semaines, deux à Boston et un autre à Urbana, que j’ai pu cette fois apprécier sous un autre jour.

Et plus les jours passent, plus le « blues » de quitter Chicago me gagne. Et cela n’a rien à voir avec le festival consacré à la musique du même nom (qui y aurait été inventée) qui avait lieu récemment. Ou cette soirée envoûtante au Green Mill, pub préféré d’Al Capone, à se laisser bercer par la voix veloutée de Patricia Barber. C’était pour moi l’occasion de présenter l’un à l’autre Len et Andrea, deux personnes avec lesquelles « il s’est passé quelque chose », amicalement, pendant cette année scolaire à Chicago. Comme avec Ron d’ailleurs avec qui j’ai partagé de bons moments à Urbana. Des amitiés naissantes que je ne veux pas perdre.

Déjà, je n’imagine pas ne pas revenir (d’autant que le projet de recherche se poursuit avec S.). Et je sais ce que cela implique. On se lie avec une ville, avec ses gens, et il faut y revenir sans cesse. Quand ces villes sont situées à des milliers de kilomètres l’une de l’autre, ça rend la vie un peu plus compliquée qu’elle ne l’est déjà.