lundi 31 janvier 2011

Rats

J'adore rester tard à l'université. Je veux dire très tard, quand je ne croise presque plus personne. Ça permet de connaître intimement les murs, les corridors, les moindres recoins. On finit par se fondre soi-même dans ces murs, par faire partie des meubles.

J'ai mis du temps (je veux dire : des semaines) à ne plus tourner en rond dans ce pavillon « des sciences du comportement ». On dirait que l'architecte a pris un malin plaisir à s'inspirer des expériences des psychologues behavioristes sur les rats de laboratoire. Vous savez, quand la souris doit trouver le fromage au centre du labyrinthe. La photo qui suit vous fera comprendre ce que je veux dire...


Des rats d'ailleurs il y en a, pas loin. Sur le campus, on les entend remuer le contenu des poubelles. On les aperçoit parfois, à l'heure où les passants se font rares, certains gros comme des lapins... Je soupçponne qu'il s'agit en fait d'opossums. Ils hantent les rues de Chicago, la nuit, grattant le fond des poubelles des immeubles, pourtant abritées derrière des portes grillagées. Un soir, j'en ai vu un devant chez moi, énorme (peut-être 50 cm du museau à la queue), qui se promenait tranquillement dans le caniveau, entre les roues des voitures.

jeudi 27 janvier 2011

Américain

Je suis dans le bus, les notes du premier mouvement d'un célèbre concerto pour piano de Tchaïkovski déferlent dans mes oreilles et je vois monter ce mec et je reconnais sur son bonnet le « C » des Bears, l'équipe de football (américain) de Chicago qui vient de rater de peu sa place au Superball et soudain je me dis que j'aime cette ville, ses gens, que je m'arrange peut-être pour y rester un peu plus longtemps que je le pensais. Presque malgré moi. Comme, par exemple, lorsque je fais l'impasse sur un poste au Canada que j'aurais peut-être pu décrocher, une erreur de jugement que je ne m'explique pas ayant postulé (d'ailleurs sans trop y croire) dans trois universités américaines...

Scène banale : je prends l'escalator pour me rendre au service de reprographie de l'université situé dans le « Student Center » et je suis témoin d'un échange entre deux étudiants américains, de deux « ethnicités » différentes. L'un raille gentiment l'autre parce qu'il se rend au gym en tenue très légère alors qu'il fait -6 dehors et celui-ci lui rétorque qu'il s'y rendrait nu s'il le pouvait (comme les athlètes Grecs allant au gymnase ?). J'entends et je comprends leur accent typiquement américain et c'est comme de la musique à mes oreilles. Il y a des moments où il faut presque que je me pince pour réaliser tout ce que cette banalité a d'extraordinaire. Sans doute pas pour ces milliers de jeunes Français qui déferlent chaque année sur les campus américains. Mais pour moi ce l'est. C'est la concrétisation d'un rêve pas tout à fait articulé, en 2000, alors que je mettais pour la première fois les pieds dans une université américaine, au Kansas. Un an plus tard, presque jour pour jour, j'assistais en direct à la chute des tours du World Trade Center et dans les années qui suivirent ma fascination pour ce pays s'est muée en dégoût. Je crois que la campagne puis l'élection d'Obama ont provoqué en moi le déclic qui a réactivé mes vieilles attirances refoulées.

Américain, je le suis devenu un peu plus hier, en allant faire ma demande de numéro de sécurité sociale (Social Security Number ou SSN), un véritable sésame dans ce pays où tout est très compliqué si vous n'avez pas ce fameux numéro. En principe, mon statut actuel ne m'autorise pas à avoir un. Mais j'ai appris de mes amis latinos qu'ils étaient peu regardants; comme quoi... De bon matin, j'ai donc accompagné Andrea, la femme de Jorge (mes voisins colombiens), au centre administratif le plus proche (situé quand même à une grosse demi-heure de chez moi en métro et bus). C'était une chose qu'elle reportait depuis un moment, car il faudrait qu'elle travaille, mais elle s'en passerait bien, préférant se consacrer à ses études doctorales en philo. Or, impossible de recevoir une paie sans ce fameux numéro. Tout s'est passé comme une lettre à la poste. Nous avons attendu (pas très longtemps) dans une classique salle d'attente d'un centre de services gouvernementaux, dont la paix ne fut que momentanément troublée par la question d'un agent de sécurité qui s'enquérait du propriétaire d'un sac non identifié... Je m'attendais à ce qu'on évacue sur-le-champ, mais non, rien de tel. Ambiance placide, décontractée, comme si aucune menace, au cœur d'un quartier périphérique de cette ville de l'Amérique profonde, ne pouvait nous atteindre. Je m'attendais à toutes sortes de question de l'employée qui s'est occupée de mon cas. Mais pas du tout, elle a été absolument charmante avec moi dès qu'elle a reconnu l'en-tête de l'université où elle a fait ses études, me souhaitant la bienvenue et me confiant son étonnement d'avoir servi trois Français depuis le début de la matinée, un record. « C'est peut-être le début d'une tendance », que je lui fais, avec le genre de sourire que vous faites aux douaniers en n'attendant qu'une chose : qu'ils en finissent au plus vite avec vous. « You are all set », finit-elle par me dire. Je recevrai ma carte d'ici une à deux semaines. C'était aussi simple que ça.

jeudi 20 janvier 2011

Dégagement

Le ciel s'est enfin éclairci. Grand soleil et froid vif. Ici, quand il fait -10 avec un petit vent, les autorités lancent des alertes au froid extrême. C'est plutôt rassurant quand on y pense.

Je dois dire qu'auparavant, et depuis mon retour la semaine dernière, il a fait un temps exécrable à Chicago. Point culminant avant-hier avec de la bruine verglaçante toute la journée. Ça n'aide pas à « positiver ». Je sais que parfois, un problème somme toute pas si grave (si on le compare à d'autres coups durs qui peuvent briser une vie) peut prendre des proportions exagérées en particulier quand on est loin des siens, loin de sa base, et vous plomber carrément le moral. Vous vous rappelez le film Seul au monde, ce drame quand le naufragé incarné par Tom Hanks perd son ballon « Wilson » ? Son seul « ami » sur cette île déserte... C'était la fin du monde. Or j'ai quand même un gros avantage sur lui car, malgré la distance, mes amis, mes proches, sont là. Au moins sur Skype, ou encore sur MSN. Et bien sûr par courriel. (Mention spéciale à Skype toutefois, avec lequel la sensation de coprésence est de loin la plus poussée à mon avis, surtout quand la vidéo est activée.)

Quoi qu'il en soit, j'ai aussi retrouvé mes amis « locaux », et ce, dans les jours qui ont suivi mon retour, sans que ce soit vraiment forcé de ma part, mais j'avais besoin de reprendre contact rapidement. De reprendre aussi mes routines où je les avais laissées. Piscine, musculation avec Sergio (en attendant son départ imminent pour la Californie). Apnée hier soir avec Jeremy, une nouvelle recrue. Et bien sûr l'université, le travail, le projet de recherche qui tarde à décoller, les petites victoires quand un autre papier en anglais est accepté pour un congrès majeur, les études aussi en auditeur libre avec mon superviseur, qui anime un autre très intéressant séminaire ce semestre.

Il paraît que nous avons de la grande visite à Chicago aujourd'hui : rien de moins que le président de l'Empire du Milieu, Hu Jintao, qui vient voir une usine chinoise de pièces automobiles, sans doute accompagné par son homologue et révérencieux hôte, Barack Obama, en pleine remontée dans les sondages. Chicago où, d'après mon concierge (on l'appelle plutôt engineer, ingénieur... car il fait des réparations mineures), il est encore possible, crise oblige, d'acheter un appartement neuf pour 45 000$. Mais il faut – tenez-vous bien – débourser 300$ chez un dentiste pour le moindre plombage. D'ailleurs la première question qu'on m'a posée quand j'ai appelé un dentiste du centre-ville pour savoir s'il pouvait me prendre plus rapidement que l'autre, c'est : « Quelle assurance avez-vous ? ». Même les garages automobiles ne vous demandent pas ça! Ça explique aussi qu'il soit pratiquement impossible d'obtenir un rendez-vous à l'école dentaire de l'université. Pour rendre moins odieuse la sélection arbitraire des patients et sans doute éviter des files d'attentes dignes de pays sous-développés (et d'avoir à renvoyer tous ces gens chez eux faute de place), ils ont instauré un genre de loterie téléphonique, comme dans les concours à la radio ou à la télé. Après 40 minutes de tentatives infructeuses de joindre le standard pour décrocher un rendez-vous de triage (screening) pour la semaine suivante, j'ai jeté l'éponge. Il s'avère plus rentable pour moi de prendre l'avion pour aller me faire soigner à Montréal. C'est dingue quand on y pense. 

samedi 15 janvier 2011

Une dent contre moi

Ironie. Quand je relis mon précédent « billet », je ne peux que constater la relativité des problèmes. Une simple dent a fait de mon histoire de plancher le cadet de mes soucis. Chronologie des événements. Mercredi soir, je rentre exténué d'une longue journée de rentrée à l'université. Plutôt que de me rendre directement chez moi, je passe par Whole Foods pour faire quelques provisions car je meurs de faim et je n'ai rien chez moi à me mettre sous... la dent. Laquelle dent, sans crier gare, se casse net sur une biscotte multigrain bio du bien nommé Dr Kracker (on sait pourquoi maintenant). L'ennui c'est que la prémolaire en question s'est fracturée verticalement, s'ouvrant en deux jusqu'à l'os. Aucune douleur, ni d'effusion de sang: la dent est morte depuis longtemps. Elle continuait cependant à me rendre de bons et loyaux services jusqu'à cette soirée fatidique.

Courriel à S. (mon superviseur de stage), qui m'avait vanté les mérites de son dentiste. Il me dit de laisser un message vocal, peu importe l'heure. Je rappelle le lendemain matin à 7h30 à sa clinique, j'obtiens un rendez-vous pour l'après-midi. C'est à Skokie, en banlieue nord. Je loue donc une « zipcar » pour quatre heures (40 $), pour avoir de la marge. Le dentiste est tout à fait charmant et compatissant. Il commence par m'extraire le morceau mobile qui ne tenait que par la gencive. Puis tombe son diagnostic : il faut arracher la dent et la remplacer par un implant. Coût des travaux : 5000$. Oui, vous avez bien lu : 5K, cinq mille. Pour une dent. Et tout est à l'avenant. Coût d'une extraction simple (par un « oral surgeon ») : environ 400$. Mon dentiste montréalais me dit de temporiser. Il y a des jours où l'on préférerait avoir des réparations majeures hors garantie à faire sur sa voiture! Quand il est moins luxueux d'avoir une voiture qu'une dentition saine, ça laisse penser que quelque chose ne tourne pas très rond dans un pays « développé ».

mercredi 12 janvier 2011

Prise deux

Combien faut-il d'absences, et combien de retours, pour que chez soi devienne vraiment « chez soi » – home, comme on dit en anglais? Chaussures à la main (pour le bureau), j'attends comme un con un bus qui ne vient pas. L'horaire aurait-il changé le premier janvier? Quelque chose d'autre, d'indéfinissable dirait Barbara, a changé, presque imperceptiblement. Peut-être est-ce cette tache en plein milieu de mon parquet, certes vieux et usé, érodé, râclé, balafré par endroits mais tellement « vintage » qu'il était devenu l'emblème de cet appartement dont F. m'a fort justement fait remarqué que j'étais si fier. Morsure corrosive d'un chiffon sans doute laissé là, imprégné de solvant, par les ouvriers venus refaire l'émail de ma baignoire en mon absence.

Rien de tel qu'un verre au Sidetrack, puis un resto mexicain avec quelques amis américains pour retrouver mes marques en anglais, moi qui craignais d'être rouillé après quatre semaines de bain francophone. J'étais assez rouillé en tout cas pour avoir eu un surprenant trou de mémoire à l'aéroport de Montréal, quand l'employée au comptoir d'enregistrement m'a demandé mon adresse aux États-Unis. Je me rappelais la rue, le code postal, etc., mais pas moyen de me rappeler le numéro civique! C'est finalement l'employée qui a eu l'idée de vérifier l'étiquette que j'avais attachée à ma valise...

Après un transit par Toronto (somptueuse vue nocturne sur la mégapole à l'atterrissage), je suis rentré chez moi en métro et bus juste à temps pour éviter une tempête de neige qui aura duré près de vingt-quatre heures. Ce matin le couvert nuageux s'est enfin déchiré, laissant voir des lambeaux de ciel bleu et percer une lumière d'hiver qui fait de mon retour à l'université une petite fête.

mardi 4 janvier 2011

Info

Si vous pensez que le blog est déserté, rassurez-vous. Je suis simplement en vadrouille en France et au Québec pour le winter break. Le récit de mes aventures chicagolaises reprendra dès la semaine prochaine. Bonne année à tous et à bientôt!