mardi 26 octobre 2010

Retour en ville

Me re-voilà dans le bus. Cette fois, le 152 Addison, direction Est, vers le lac, vers chez moi. Je l’ai pris au métro Addison-Blue, à quelques stations de l’aéroport O’Hare, fier d’avoir trouvé ce raccourci tout seul, car le trajet en métro à l’aller en passant par la « loop » fut interminable. Bref, ce long préambule pour expliquer mon silence de 8 jours, durant lesquels je participais à un congrès en Suède. Nouvel atterrissage donc, deux mois jour pour jour après mon arrivée. Et nouvelles formalités d'immigration, et nouveau petit papier dans mon passeport... Bref, en attendant le bus, je n’ai pu m’empêcher de sourire en voyant, face à l’arrêt de bus, un panneau indiquant que le Wrigley Field (le domicile des Cubs) se trouvait à 3,5 miles. Car au même moment j’étais en train d’ouvrir l’emballage d’un paquet de chewing-gums acheté à l’aéroport d’Arlanda (Stockholm) avec les dernières couronnes suédoises qu’il me restait. Et sur cet emballage, au dessus de la marque « Extra », on peut lire : « Wrigley’s », nom de la compagnie vénérable qui a donné son nom au stade Wrigley et au quartier Wrigleyville qui l’entoure. J’adore ce genre de coïncidences, ou plus exactement, ces rapprochements, ces mises en contact de lieux géographiquement distants dans lesquels je me suis déjà trouvé, d’autant plus si je les ai fréquentés à peu de temps d’intervalle. Réjouissante, fascinante mais aussi troublante impression d’une contraction de l’espace-temps, que le monde est de plus en plus petit, rond et recourbé sur lui-même. Que notre destinée est étroitement liée à celles de gens lointains. 

J’ai eu aussi l’impression en arrivant d’un retour dans le temps, au double sens du terme : chronologique et météorologique. Alors que la Suède était déjà au bord de l’hiver, sous la neige par endroits, Chicago semble encore hésiter entre l’été et l’automne. À moins que ces vents furieux qui font rage dehors aujourd’hui ne soient en train de chasser au loin ces derniers soupirs d'été.

vendredi 15 octobre 2010

Urbana

Dur, dur, de s’atteler à son blog. Surtout quand le temps semble s’accélérer à 36 heures de mon envol vers le pays d’Ikéa. Je sais que ce n’est pas très sympa pour ceux qui me lisent, mais pour moi, bloguer tient plutôt de la corvée et du gaspillage de temps. Mon penchant perfectionniste est mis à mal, car je ne peux pas trop me permettre de peaufiner chaque billet sinon je vais laisser tomber. (Je dois vous avouer que je ne peux m’empêcher de retoucher les messages après coup... ce qui est assez contraire à l’esprit de la chose... que voulez-vous.)

Sept semaines ont passé depuis mon arrivée dans la Cité des vents. Jusqu’à présent ça va plutôt bien. Les cycles se mettent en place. Trois lavages. Trois séances d’entraînement au gym. Deux séances de piscine. Un passage chez le coiffeur. (Pour les mauvais esprits je précise que cela fait deux semaines seulement que je suis inscrit au centre sportif de mon université ;-) Ça revenait moins cher si j’attendais le 1er octobre et avant c'était loin dans la liste des priorités.)

Bref, une routine s’installe et c’est ce dont j’ai besoin pour me concentrer sur des choses plus « sérieuses ». À propos, avant-hier j’ai fait ma première journée de terrain, au service des Archives de l’Université de l’Illinois. Le mot « terrain » convient assez bien dans ce cas parce que le campus d’Urbana-Champaign (mais il paraît qu’on dit maintenant Champaign-Urbana...) est vraiment situé au milieu des champs de maïs. Urbana et Champaign sont deux villes jumelles situées 220 km de Chicago, dixit Google qui sait tout. C’était d’ailleurs ma première sortie hors de Chicago, et la première fois que je prenais un train Amtrak. On a mis plus de 2h30 pour parcourir la distance sur l’Interstate 57 qui relie Chicago à Memphis. Les trains ici sont plutôt confortables, assez lents (parfois ils doivent se ranger sur une voie de service pour laisser passer les trains de marchandises, prioritaires!) et vraiment, mais vraiment pas chers : 14 $ plein tarif pour un aller simple! Au retour, j’ai pris un « mégabus » parce que l’horaire me convenait mieux, et c’était encore moins cher (11 $). « Megabus », c’est le nom de la compagnie, et il dit bien ce qu’il veut dire : ces cars à deux étages sont énormes. Du pont supérieur, on peut toiser les conducteurs de trucks, ce qui n’est pas peu dire surtout aux États-Unis.

L’UIUC, ou si vous préférez l’Université de l’Illinois – les étudiants portent fièrement des sweat-shirts sur lesquels figure seulement le nom de l’État – est une vénérable institution qui fêtera dans quelques années son 150e anniversaire, ce qui n’est pas banal pour une université publique (state university), c’est-à-dire qu’elle remonte pratiquement à la Guerre de Sécession.  Ça se sent à l’architecture, aux boiseries patinées que l’on retrouve dans le pavillon des archives, qui avait cette odeur et cette lumière des vieilles institutions qu’on associe plus volontiers à l’Europe. Le campus est si vaste, tentaculaire, ses édifices omniprésents, que c’est comme si l’université était devenue ville, avait enfanté la ville. Ça ne ressemble ni aux enclaves verdoyantes et bourgeoises comme le campus de McGill, ni au campus urbain à la manière de l’UQAM, université dans la ville. À Urbana, toutes les routes partent de et traversent l’université. D’ailleurs, le transport public, largement subventionné par l’université, est gratuit pour les étudiants et les employés. Pour les autres, un seul petit dollar suffit pour prendre le bus. À condition d’être patient car ils passent quand ça leur chante! (Et me revoilà encore à vous parler de bus... je sens que le tag associé dans le petit nuage de mots à côté va enfler démesurément si ça continue.)

En tout cas, S. était satisfait du bilan de mon excursion à la campagne. Je ne suis pas revenu bredouille. Un partenariat avec un prof là-bas serait même en train de se dessiner. Je suis content, car je suis passé par une phase de doute assez pénible dans ma relation avec mon superviseur. Car après m’avoir accordé tant d’attention et d’attentions durant les premiers temps de mon installation, il s’était fait plus distant voire indifférent au point que j’ai fini par penser que je l’avais déçu, qu’il s’attendait à ce que je sois plus brillant que ça. Je m’étais quand même raisonné en me disant que je m’étais emballé un peu vite, que les Nord-Américains sont comme ça : très chaleureux dans leur accueil, mais aussitôt qu’ils vous sentent sur les rails, ils vous laissent vous débrouiller, leur mission accomplie. Et vous qui vous imaginiez déjà proches amis! En fait il était probablement simplement et réellement débordé, comme l’est toujours un prof passionné par son travail. Une autre raison explique aussi cette anxiété que j’ai éprouvée vis-à-vis de lui : auparavant, mes directeurs de recherches m’apportaient leur connaissances théoriques, et moi je leur apportais ma connaissance pratique du terrain. L’échange était asymétrique, mais équilibré. Mais avec S., c’est différent. Son expertise du domaine des technologies émergentes est intimidante. Si bien que j’ai tendance à penser que je ne peux rien lui apprendre. Ça peut être démotivant, ou du moins insécurisant. Mais il paraît que le doute, c’est le ferment de l’apprentissage alors voilà, je suis dans le doute, j’apprends. Et au fond c’est pour ça que je suis ici.
(modifié le 16/10/2010)

mardi 12 octobre 2010

Été indien

Les chauffeurs de bus sont sympas quand même. Ils laissent monter et descendre les gens en dehors des arrêts officiels. Les usagers n’en abusent pas, mais tout de même. Il m’est arrivé quelques fois de rater le bus (quand je le vois tourner au coin de ma rue, il est trop tard), mais de le rattraper au feu rouge et d’y monter, à bout de souffle. On y trouve aussi toutes sortes de passagers, comme cette blatte (!) qui se promène sans vergogne sur la paroi près de mon siège!

L’été indien n’est pas une exclusivité québécoise. Nous avons en ce moment à Chicago l’un des plus beaux que j’aie connus en quinze ans d’Amérique. (La blatte se rapproche dangereusement du dossier de mon siège, mais opte finalement pour celui de la dame assise devant moi ; je l’ai à l’œil car je n’ai aucune envie qu’elle entre dans mon sac et me tienne compagnie au bureau... que je partage déjà avec un sympathique chargé de cours.)

Et que font les Chicagoens quand le soleil revient leur chauffer les fesses en plein mois d’octobre ? Ils sortent les parasols et vont à la plage. Il y a un chapelet de plages le long du Lac Michigan, et j’ai pu constater, en me promenant uptown avec un ami américain de passage et un ami à lui récemment installé à Chicago, qu’elles étaient assez achalandées ce week-end. (Cela fait un moment que je n’ai pas revu la blatte... la dame s’est levée mais un monsieur est venu la remplacer.)

Nous nous sommes attardés à Hollywood Beach, la plage gaie de Chicago. Je ne me suis pas baigné, c’était improvisé et je n’avais rien prévu pour la baignade. L’eau était glacée d’après B. qui s’est trempé les pieds, joyeux comme un enfant de se retrouver au bord de l’eau. Il faut dire que ce lac a des allures de mer. Tout y est : le sable fin, le ressac des vagues (OK, vaguelettes), les coquillages (des moules surtout mais aussi quelques gastéropodes effilés). J’ai même trouvé une pince (d’écrevisse? de crabe?) assez impressionnante. La prochaine fois, c’est sûr, je me mouille! 

jeudi 7 octobre 2010

Info

Juste quelques mots pour vous signaler l'ouverture d'une nouvelle section du blog intitulée En images. Elle apparaît sous l'onglet « Pages » dans la colonne de droite. Un autre regard sur ma vie à Chicago... Surveillez-la car je l'alimenterai régulièrement, parallèlement au blog principal (en tout cas j'essaierai ;-)).

mercredi 6 octobre 2010

Bouffe

C’est officiel : on crève de chaud dans cet autobus où le chauffage marche à fond alors qu'il fait 20 dehors. J’en ai parlé au chauffeur (!) qui dit qu’il n'y peut rien, que c’est « contrôlé par la mécanique ». Et les fenêtres sont verrouillées. J’en ai mal à la tête et au cœur. Bref, c’est pas l’idéal pour vous parler de... bouffe!

Je dois dire que je redoutais un peu cet aspect de ma vie à Chicago. Car durant mon séjour de reconnaissance en juin, j’avais constaté que les magasins d’alimentation (les vrais, pas les dépanneurs) se faisaient rares. On aperçoit bien le mot « FOOD » sur les enseignes des chaînes Walgreens et CVS mais comme ce sont avant tout des pharmacies (à l’américaine), à part des chips et du coke l’offre est assez limitée. En revanche, il y a des fast-foods partout et en tous genres. Au point que j’ai fini par me demander sérieusement si les habitants de Chicago se faisaient à manger ou s’ils achetaient leur repas tout cuit au coin de la rue. Je me revoyais à mon arrivée au Québec, dans le quartier Ville-Émard des années 90, à devoir m’alimenter de pain blanc tranché, de cheddar orange et de Seven-Up diète. J’exagère, mais à peine. La proximité d’un supermarché digne de ce nom s’est donc imposée comme critère no.1 pour le choix de mon appartement. À cet égard, les résidents de Lakeview Est sont particulièrement choyés : à quelques minutes de marche de distance se trouvent un magasin Treasure Island Foods (auto-proclamé « plus européen des supermarchés en Amérique »), un Whole Foods (supermarché spécialisé dans le bio à prix abordable) et un gros Jewel-Osco ouvert 24h/24. Petite anecdote au passage : lors de ma première visite à Chicago, mon superviseur de stage, S., m’avait indiqué les quartiers sympas sur un plan de métro qu’il avait imprimé. Il avait notamment entouré « Boystown ». Boystown, comme son nom le suggère, c’est le quartier des mecs (comprendre : gais) de Chicago (en fait, l’un des deux, car il y a aussi Andersonville, situé plus au nord, uptown). J’avais saisi la perche pour lui dire que bien qu’homo moi-même, ce n’était pas une priorité (euphémisme) pour moi que d’habiter dans le « ghetto » gay. J’ignore s’il y a un lien avec la clientèle du secteur, mais les trois grocery stores de Lakeview Est que je viens de vous citer sont tous situés au cœur de Boystown (qui ne couvre qu’une petite partie du territoire de Lakeview). Le cliché voulant que les gays soient plus portés à cuisiner ou plus raffinés (j’allais écrire fancy) dans leur alimentation serait-il fondé?

Toujours est-il que malgré cette abondance, manger sainement ici (et garder la ligne) n’est pas... une mince affaire justement. Par exemple, les fabricants ajoutent du sucre dans TOUT, à commencer par le pain! Chaque magasin a un rayon entier de pains tranchés. J’ai passé un temps fou à éplucher en vain les étiquettes chez Jewel et Whole Foods (au risque de passer pour un fou) à la recherche d’un pain sans sucre ajouté. Dans le meilleur des cas c’est du miel ou du malt (« pour l’équilibre », lit-on sur une étiquette), dans le pire, du sirop de maïs à haute teneur en fructose pudiquement appelé « corn syrup ». Et ce que l’on s’attend à trouver normalement sucré (un yaourt aux fruits par exemple, mais aussi du jambon au miel) s’avère hyper sucré. Dans le même ordre d’idées, je suis surpris par la quantité et l’enventail de produits chimiques qu’on retrouve dans les produits agroalimentaires. Au pays de Monsanto, on ne s’étonnera pas que l’aspartame, qui a quasiment disparu des étalages au Canada, soit omniprésent dans les produits « light ». Et quelle ne fut pas ma surprise, après avoir acheté ce que je croyais être des petits pois frais dans une barquette au rayon légumes, en découvrant la liste des ingrédients! Ça vaut son pesant de cacahuètes :

Ingrédients : Petits pois, eau, chlorure de sodium, bicarbonate de sodium, carbonate de sodium, tripolyphospohate, parabènes, colorants alimentaires certifiés FD&C dont Bleu no. 1, Rouge no. 40 et Jaune no. 5 (tartrazine).

Bon appétit!

dimanche 3 octobre 2010

Entre-deux

Je n’éprouve pas encore les affres de l’exil. (Car déménager dans un autre pays, seul, pour deux ans, c’est bien une forme d’exil, fût-il volontaire.) Je pensais que l’éloignement et l’isolement social qui l’accompagne seraient pénibles. Mais mis à part le fait que j’ai une vie sociale dans la journée à l’université (ce qui est déjà pas mal), à bien y penser, ma nouvelle vie n’est pas très différente de ma vie de thésard. La plupart de mes interactions sociales étaient déjà « médiatisées » : par le téléphone, le courriel, la messagerie instantanée ou encore Facebook, que ce soit avec ma famille en France, des amis dispersés de par le monde, et même ceux de Montréal voire de mon quartier! Des mois pouvaient ainsi se passer sans que je revoie certains d’entre eux en face à face. Donc pas de changement majeur perceptible de ce côté.

Et puis il y a la radio. Ces dernières années, la radio parlée de Radio-Canada était devenue ma bande-son, sept jours sur sept. Les Christiane Charette, Pierre Maisonneuve, Yanick Villedieu, Jacques Languirand, Jacques Bertrand (Ah! regrettée Macadam Tribus), Le Bigot et compagnie... se relayaient pour me tenir compagnie justement. Or, un petit tour de passe-passe technologique associant iPod, connexion Wi-Fi, station d’accueil ainsi qu’une petite application gratuite me permet d’écouter la radio par Internet exactement comme si c’était une banale radio FM -- car je déteste écouter la radio sur un ordinateur!

Si on ajoute à cela la lecture quotidienne de Cyberpresse sur mon iPod, on peut dire que j’ai reconstitué à Chicago mon univers informationnel, social et linguistique montréalais. Plus encore, c’est tout mon petit monde que j’ai transporté avec moi, si l’on inclut également la bouilloire, le thé, et jusqu’à certains aliments que je suis parvenu à retrouver ici me permettant de déguster tous les matins la réplique exacte de mon petit déjeûner québécois. Bien sûr tout cela n’est possible que dans la mesure où Montréal et Chicago sont deux villes, sinon tout à fait voisines, du moins très proches puisqu’elles appartiennent au même ensemble géographique, économique et culturel. Cela aurait été plus difficile si j’avais déménagé à Rio, Dakar, ou New Delhi. Quoique. Avec Ikéa, la génération mobile n’a plus besoin de déménager ses meubles. Elle peut reproduire à peu de choses près son intérieur n’importe où sur le globe. Ça change un peu les termes de l’exil. Et mon trajet quotidien en autobus est plus qu’un déplacement local d’un point A à un point B de Chicago. C’est un sas entre deux mondes : celui que j’ai apporté avec moi et celui auquel je tarde encore à m’abandonner. Comme quand on a encore pied et qu’on hésite à nager.