dimanche 28 novembre 2010

Black Friday

C'est agréable quand on commence à apprivoiser une ville. À se sentir en terrain connu. Moins assailli par la nouveauté, l'étrangeté. Comme lorsque Jay (le traducteur rencontré à la soirée des Français) m'a donné rendez-vous un vendredi soir dans un bar de Logan Square, un quartier situé à l'Ouest de Lincoln Park et au Sud de Lakeview, où j'ai rarement mis les pieds. Le Cole's attire une foule à peine pubère de hipsters, de nostalgiques et de néo-convertis du rock alternatif et vintage, venus entendre des groupes émergents pour le prix d'une bière. J'y ai fait la connaissance d'un ami français de Jay, Arnaud (nom fictif comme tous les autres, même si les initiales correspondent), jeune photographe, comédien et papa déjanté dans la vingtaine, ayant quitté Paris pour Chicago il y a trois ans pour y suivre sa femme qui venait y faire ses études. J'avais essayé d'y entraîner Anabelle, mais elle reçoit toujours mes textos avec un délai considérable. Finalement elle m'a écrit qu'elle passait la soirée au Spin avec les doctorants de son département, tous hétéros. À Jay qui m'a demandé pourquoi elle ne venait pas j'ai rigolé que c'était le monde à l'envers. Que c'est moi qui devrais me trouver au Spin et elle au Cole's. Anabelle adore l'ambiance des bars gays de Boystown. En plus le vendredi soir, c'est « shower contest », un concours « pro-am » où de beaux mecs rivalisent de sensualité en prenant une douche en slip sur le rythme d'une musique endiablée, sous l'œil faussement blasé d'une matrone latino qui mène le show à la baguette et décide « au décibélomètre » de celui qui remporte la faveur du public et les 150$ en jeu.

D'un vendredi à l'autre, avant-hier c'était le « Black Friday ». Pas besoin de vous dire ce que c'est; tant au Québec qu'en France les médias ne parlaient que de ça ces derniers jours : une journée de soldes soi-disant records, sur lesquels se ruent les Américains au lendemain de la fête de Thanksgiving. « L'action de Grâce », aux États-Unis, c'est quelque chose. Tout ferme et la plupart des gens sont en congé pendant quatre jours; on dirait que la terre s'arrête de tourner! J'ai été très gentiment invité à passer la soirée chez un couple de collègues gays de mon département, dans une tour du centre-ville, avec vue imprenable sur la Tour Willis. Et cette soirée commençait à... 3 heures de l'après-midi, car la dinde se déguste traditionnellement vers 4-5 heures. J'ai appris qu'il s'agit de ce que les Américains appellent un « dinner » (un gros repas d'après-midi) et non un dîner au sens des Français ou d'un souper au sens des Québécois.

Bref, vendredi, je suis allé faire un tour sur Broadway, en marchant, par un temps ensoleillé mais glacial. J'avais l'impression que je verrais des signes de cette frénésie de consommation dont on m'avait rebattu les oreilles, mais visiblement, je n'ai pas au bon endroit. Les petits magasins de déco qui s'égrènent entre Belmont et Diversey étaient quasi déserts, les promos affichées plutôt timides quand il y en avait. (Il y avait sans doute plus d'action sur Michigan Avenue, principale artère commerciale de Chicago). J'avais repéré quelques trucs sur le prospectus d'un magasin de déco, et comme j'avais reçu un bon de réduction pour les résidents du quartier, je me suis dit que soldes ou pas pas soldes, je pourrais peut-être faire une bonne affaire. J'arrive dans le magasin en question, et non seulement je ne trouve pas ce que je cherchais, mais rien n'est en solde! Finalement, je trouve quelques babioles, et quand je présente mon bon de réduction à la caissière celle-ci me fait remarquer que je ne suis pas dans le bon magasin... je suis chez Walmart! J'ai dû avoir la mine déconfite du musulman qui s'aperçoit qu'il vient d'avaler une saucisse pur porc! J'ai tout laissé là et suis parti.

Enfin, tout cela pour dire que j'ai profité de ce (très) long week-end pour mettre la touche finale à cette installation qui n'en finissait pas, trois mois exactement après mon arrivée. Et pour la première fois depuis des années (je ne sais même pas si c'était le cas lors de mon installation au Québec), je me retrouve avec plus d'espace de rangement que je n'ai de choses à ranger... Certes, de prime abord cela fait un peu bizarre, ces surfaces nues. Mais en même temps, quel soulagement! J'ai l'impression de respirer enfin après avoir suffoqué dans mes objets, mes papiers, mes livres. Cela me motive plus que jamais à respecter ma résolution : ne faire entrer chez moi aucun objet qui ne me soit indispensable. Tout un programme...

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