jeudi 25 août 2011

Chicago Ma Non Solo

Un an. Il y a tout juste un an je me posais à O’Hare, le principal aéroport de Chicago (il y en a un deuxième, Midway, dans le Southside). Me voici aujourd’hui à Québec, dans un bar qui est devenu mon Q.G. car une fois encore, je me suis fait piéger et je ronge mon frein en attendant ma connexion Internet à la maison. On dirait que sans accès au réseau, je me sens complètement désemparé et impuissant. J’ai l’impression que ma vie adulte s’est construite autour de cette connectivité permanente. Alors je joue encore les « wifi-squatteurs », comme au Caribou Coffee de Boystown, sur Halsted. Il est presque 23h00 ici et c’est mort. Encore une fois, je vais me faire jeter dehors en terminant ce billet sur les chapeaux de roue.

Mais je ne suis pas là pour vous parler de ma nouvelle ville (de ma nouvelle vie). J’écris ces lignes pour boucler la boucle, comme plusieurs me l’ont demandé. J’aurais pu le faire avant; je n’ai pas fait exprès d’attendre cet anniversaire. Mais bien sûr, vous savez ce que c’est: un double déménagement, des voyages (jusqu’aux confins de l’Europe), des retrouvailles, tout ça m’a emporté ailleurs déjà, bien que je me sois promis de continuer à alimenter ce blogue, car j’aurais tant eu à dire encore, tant de photos non publiées, comme ces photos du « L » que j’avais promises à... L. Je compte bien continuer à alimenter la rubrique « En images », mais le ferai-je vraiment ? Peut-être quand je retournerai à Chicago, car j’y retournerai, c’est prévu, et même pas plus tard que dans quelques semaines. Mais ce ne sera plus pareil. Je n’y résiderai plus.

Alors que s’est-il passé entre mon dernier « post » et mon départ ? Une bonne partie de mon énergie a été absorbée par l’urgence de trouver un repreneur pour mon appartement, car j’étais encore lié par le bail pendant deux mois. Je stressais d’autant plus qu’une fuite dans une corniche à l’extérieur de l’immeuble causait des dégâts importants par temps de pluie, et qu’il a fallu harceler la compagnie immobilière pour qu’elle fasse faire les travaux. Puis ce fut le tourbillon des visites, les annonces (Craigslist est vraiment LA meilleure façon de vendre ou de louer quelque chose à Chicago), etc. J’ai finalement trouvé « mon » locataire, R., un grand gaillard d’une trentaine d’années avec une maîtrise en philosophie qui m’a demandé à brûle-pourpoint, pendant la visite, si j’étais cartésien ou rousseauiste. Et moi de répondre que j’étais davantage... latourien ! Ensuite, quand tout a été signé, on a pris une bière sur la terrasse du pub irlandais situé au coin de ma rue (le O'Mahony's), pour « discuter de choses académiques », à la demande du fantasque jeune homme.

J’ai aussi profité du temps qu’il me restait pour faire un peu de tourisme, ces choses qu’on n’arrête pas de reporter car on se dit toujours qu’on aura le temps. C’est ainsi que j’ai tenu une promesse que je m’étais faite : me baigner dans les eaux du lac Michigan. C’est arrivé le jour du défilé de la Gay Pride, une des plus marquantes auxquelles j’aie assisté depuis bien longtemps. Imaginez un peu : 750 000 personnes massées sur le parcours, qui passait à un coin de rue de chez moi. C’est d’ailleurs en entendant les cris de la foule que je me suis décidé à sortir de ma tannière pour me joindre à la fête. Après quelques heures à griller sous un soleil de plomb, Stan (un ami gay de Sergio que j’ai fréquenté de loin en loin – c’est lui qui m’a fait connaître le Berlin) m’a proposé de le rejoindre, lui et ses amis, à North Beach, une immense plage qui s’étire entre Lincoln Park et le centre-ville, jusqu’au pied de Big John (la tour John Hancock, ma tour fétiche puisque j’y ai eu mes entrées pendant un an). Je vous passe l’épopée pour me rendre de chez moi à la plage en bus, alors que les axes Nord-Sud étaient fermés pour cause de parade gaie. Mais le jeu en valait la chandelle. L’eau était fraîche, certes, mais pas plus que sur les plages du Nouveau-Brunswick. Ensuite, après avoir réussi à expédier mes affaires à Montréal, il m’est resté une journée pour saluer S., mon superviseur, et visiter deux campus que je m’étais promis de voir avant mon départ : celui de l’Illinois Institute of Technology, une merveille d’architecture moderne où Mies van der Rowe a notamment commis quelques chefs-d’œuvre, et, bien sûr, celui de l’Université de Chicago. J’ai beaucoup hésité à y aller car comme je crois l’avoir déjà dit, c’est au bout du monde, dans le Southside, et le soir, j’avais rendez-vous avec quelques doctorants de mon département pour leur faire mes adieux. Mais il fallait que j’y aille, pour ne pas laisser ce lieu se mythifier dans mon esprit. Je me suis toutefois promis d’y retourner un jour, si l’occasion m’en est donnée. Il faut dire que la journée s’est terminée alors que je suis tombé par hasard sur la Robie’s House, un autre chef-d’œuvre d’architecture de Frank Lloyd Wright cette fois. J’ai donc repris une dernière fois le « L » pour aller rejoindre mes amis doctorants au Jack’s on Halsted, un resto-bar servant de succulents hamburgers et qui, contrairement à ce que son emplacement pourrait laisser croire (en face du Spin), n’est pas un bar gay. C’était l’un des premiers endroits où j’avais atterri, comme ce soir, pour naviguer sur le Net avant de rentrer dormir chez moi. Je l’avais fait connaître à Anabelle, elle avait bien aimé.

En parlant du Spin, ça me rappelle notre soirée d’adieux avec Len et ses amis S. & S., couple aussi sympathique que dépareillé (l’un est franco-iranien et mesure deux mètres, l’autre est roumain et il fait facilement deux têtes de moins). On avait refait la tournée des bars de Boystown. J’avais insisté, puisque c’était vendredi, pour retourner voir le « shower contest » du Spin. Un désastre ! On a fini au Nookies’ Tree, un autre lieu du quartier que j’ai beaucoup hanté à mes débuts à Chicago pour sa cuisine équilibrée ouverte 24h/24.

Finalement, Jorge est rentré de Bogota et on est sorti tous les trois avec Andrea. On est allé au fameux petit pub du coin (pas gay lui non plus), je me suis fait draguer ouvertement par un serveur Mexicain, et l’émotion était palpable. Le lendemain, jour du départ, je les ai appelés à la dernière minute à la rescousse car je n’arrivais pas à boucler mes valises. Finalement, Andrea est allée chercher un taxi au coin de la rue et c’est un ange qu’elle m’a trouvé. J’avais une heure pour arriver au comptoir d’enregistrement et Wrigleyville était complètement bloqué par la fin d’un match de baseball. Il a littéralement fait un miracle en se faufilant à travers les petites rues du Uptown. Et quand enfin je suis arrivé dans l’avion, des orages ont éclaté, nous clouant au sol pendant une heure et demie. C’est donc dans un ciel gris plomb zébré d’éclairs que j’ai quitté Chicago. Cette fois j’avais pourtant pensé à m’asseoir près d’un hublot et à sortir mon appareil photo, je voulais pouvoir capturer ce skyline vu d’avion au moment où il s’apprête à survoler le lac.

Cela fait trente minutes que le barman aurait dû me chasser. Mais il ne s'inquiète pas de moi: il fume un joint avec un pote, relax. Il est pourtant temps de conclure. Conclure en revenant sur une idée qui s’est imposée à mon esprit dans le taxi qui m’emmenait à O’Hare pour la dernière fois avant un temps indéterminé. Après les embrassades avec mes amis colombiens visiblement émus : le titre de ce blogue n’est plus approprié. Car si je suis arrivé seul à Chicago, je l’ai quitté bien entouré, en y laissant des amis chers. Merci à eux, merci à vous, de m’avoir accueilli et accompagné durant cette année en sol américain.



mardi 21 juin 2011

Chicago Blues

En marchant sous la pluie dans la moiteur orageuse du premier soir de l’été pour aller recharger ma Chicago Card avant de me retrouver à sec, je lève un instant les yeux vers la tour Willis, qui domine, majestueuse, le campus de l’université, perçant le ciel de ses lances de lumière blanche et je m’exclame : « Dire que je n’ai jamais mis les pieds dans cette tour! ».

Les événements se sont bousculés durant ces longues semaines de désertion de mon blogue. Combien ? Six semaines déjà ? Il y a des moments où la vie s’accélère et reprend ses droits sur l’écriture « libre », surtout s’il faut écrire par contrainte pendant ce temps. Je l’avais dit en ouvrant ce blogue : un temps pour vivre, un temps pour en témoigner écrivait Camus. Et il faut bien caser le travail dans tout ça.

J’ai donc fini par décrocher un poste que je n’attendais plus. C’était au retour d’un énième voyage au Nord de la frontière. Cette fois-ci, j’ai fait le trajet aller par la route, et même par les petites routes, avec mon ami P. Nous sommes passés par Détroit (une ville ravagée par la crise, avec des tours placardées en plein centre-ville), puis par les chutes du Niagara, sans autre intérêt que l’excès. Démesure des chiffres (150 millions de litres d’eau à la minute pour la chute principale...), et surenchère de mauvais goût architectural. À côté, la Côte d’Azur est une réussite en termes d’intégration du développement immobilier au paysage. Mais je m’égare. Si je m’attarde à évoquer ce voyage, c’est qu’il m’a permis de prendre toute la mesure de la distance entre Chicago et Montréal (1200 km à vol d’oiseau) comme ni l’autoroute, ni encore moins les autobus du ciel d’Air Canada ne permettent de le faire. Pendant trois jours pleins nous nous sommes relayés au volant, prenant, comme je le disais, le temps de s’arrêter, de voir, de goûter, d’apprécier les lentes transformations du paysage au fil de ce chemin qu’ont emprunté, dans l’autre sens, les premiers colons, depuis le pourtour marécageux du Lac Michigan jusqu’aux abords du Lac Érié en passant par l’interminable enfilade de champs cultivés et leurs dinausauresques arrosoirs géants, sur des routes de campagne où parfois débouchait la voiture à cheval d’un Amish, flambant neuve et pourtant anachronique.

Au retour (par avion cette fois), un message m’attendait sur ma boîte vocale chicagolaise. En gros, j’avais un peu moins de deux mois pour plier bagages, trouver un repreneur pour mon appartement à Chicago, trouver un nouveau logement au Québec, etc., tout en enchaînant trois congrès en trois semaines, deux à Boston et un autre à Urbana, que j’ai pu cette fois apprécier sous un autre jour.

Et plus les jours passent, plus le « blues » de quitter Chicago me gagne. Et cela n’a rien à voir avec le festival consacré à la musique du même nom (qui y aurait été inventée) qui avait lieu récemment. Ou cette soirée envoûtante au Green Mill, pub préféré d’Al Capone, à se laisser bercer par la voix veloutée de Patricia Barber. C’était pour moi l’occasion de présenter l’un à l’autre Len et Andrea, deux personnes avec lesquelles « il s’est passé quelque chose », amicalement, pendant cette année scolaire à Chicago. Comme avec Ron d’ailleurs avec qui j’ai partagé de bons moments à Urbana. Des amitiés naissantes que je ne veux pas perdre.

Déjà, je n’imagine pas ne pas revenir (d’autant que le projet de recherche se poursuit avec S.). Et je sais ce que cela implique. On se lie avec une ville, avec ses gens, et il faut y revenir sans cesse. Quand ces villes sont situées à des milliers de kilomètres l’une de l’autre, ça rend la vie un peu plus compliquée qu’elle ne l’est déjà.

lundi 9 mai 2011

Info

Un ami m'a fait réaliser qu'il n'était pas possible de s'abonner pour être informé des mises à jour. Or Je viens d'y remédier. Vous trouverez un lien "S'abonner au blogue" en haut à droite de cette page. Si vous cliquez dessus, on vous demandera d'entrer votre adresse courriel. Vous recevrez ensuite un courriel de confirmation avec un lien sur lequel il vous suffira de cliquer pour activer votre abonnement. Par la suite, vous recevrez un message chaque fois que je publierai un nouveau billet sur ce blogue. Pratique, puisque comme vous avez pu le constater, la fréquence de publication est plutôt irrégulière ces derniers temps. Ça aussi, je vais tenter d'y remédier ;-) J'en profite pour vous rappeler que la rubrique "En images" (lien dans la colonne de droite également) est mise à jour indépendamment du contenu "texte". Donc pensez à y faire un tour de temps en temps quand vous passez me voir...

Sirènes dans la nuit

J’avais promis d'en parler en ouvrant ce blogue, et comme mes jours à Chicago semblent désormais comptés (ça aussi je vous en reparlerai en temps et lieu), il est temps que je revienne sur ce phénomène sonore qui agresse les oreilles des visiteurs de Chicago : les sirènes des pompiers et des ambulances. Loin du « pin-pon » presque discret de leurs alter ego français, celles de Chicago font davantage penser à ces plaintes déchirantes qui annoncent les bombardements et somment les gens de se rendre aux abris à des lieues à la ronde.

Lorsqu’ils déferlent en vagues interminables, ces hurlements nocturnes qui m’empêchaient de dormir au début (plus maintenant, heureusement) me font penser au film Eraserhead de David Lynch. Généralement la sirène ne retentit pas seule, mais plutôt en duo, voire en petit ensemble qui nous assène la mélodie (très monotone et stridente) en canon, en fugue infernale. Comme une évocation des flammes qui font rage, quelque part, ou le souvenir funeste de celles qui ont ravagé la ville en 1871. Rage à laquelle répond celle, stridulante, des sirènes des camions de pompiers, roulant à tombeau ouvert dans des rues pourtant vides en plein milieu de la nuit, rage qui fait penser à celle du nourrisson qui n’a pas ce qu’il veut et que rien ne peut apaiser. Le tout sans pouvoir tenir la note, ce qui n’arrange rien. Car en effet, immanquablement la note baisse, s’étiole, tourne à l’aigre, se déforme comme un bout de plastique qui fond avant de partir en fumée nauséabonde qui flottera longtemps dans l'air, comme un son qui reste audible et dérangeant, même de très loin.

Cela dit les camions, au look rétro, sont plutôt beaux. Criards, mais beaux. Je dirais même plus: pimpants.

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mercredi 13 avril 2011

Sur la route de Memphis

Qui n’a jamais pris la route, seul, sur de longues distances aux États-Unis, n’a pas vraiment goûté l’expérience de « l’Amérique ». C’est du moins ce que je m’imaginais. Au final, après sept mois passés ici, et ma première véritable excursion hors du « Chicagoland », je constate que mon mythe américain personnel a pour l’essentiel éclaté, sans bruit, comme une bulle de savon irrisée. Car en Amérique, j’y vivais déjà depuis quinze ans, dans la Province de Québec (PQ). (Je m’amuse à exhumer cette vieille dénomination car ici, les codes n’ont pas été mis à jour, et dans les bases de données américaines, « QC » n’existe pas.) J’insiste aussi un peu ironiquement sur cette épithète de « province » car elle prend vraiment tout son sens ici, quand on réalise que la terminologie routière québécoise est un calque de l’américain, à l’image de la culture en général, version francisée (loi-cent-unifiée) de la culture motorisée « US ». Ou comment le « nous » québécois se perd dans le grand « US ».

Mais reprenons la route où je l’avais laissée. On dit que plusieurs erreurs peuvent se compenser. C’est un peu ce qui m’est arrivé. Je devais retourner sur le terrain, à Urbana. Bien que les préparatifs techniques de cette excursion de deux jours aient duré des semaines, la décision de la concrétiser cette semaine-là s’est prise dans la précipitation, entre deux avions pour Montréal. Le service des archives de l’Université de l’Illinois ayant des horaires de fonctionnaire avec une pause d’une heure le midi, et comme j’estimais que j’avais besoin de deux journées complètes, je voulais y être à l’ouverture, si bien qu’il fallait que je passe la nuit précédente sur place. J’ai donc écrit à mon ami Ron – qui, tout en travaillant dans mon département, fait son doctorat à Urbana et doit donc s’y rendre régulièrement – pour lui demander de me conseiller un hôtel « pas cher ». Rentré épuisé de Montréal la veille, je devais repartir à Urbana le lendemain, non sans passer par l’université pour récupérer du matériel un peu encombrant commandé par mon superviseur de recherche et indispensable à ma collecte de données. Bref, ce n’est que le lendemain matin que je me mets en quête d’une chambre d’hôtel. Je tique sur le prix, un peu élevé, mais je n’ai guère le temps de tergiverser (ou plutôt, je commets la première erreur de ne pas pousser plus loin mes recherches). Je refais ma valise (ou plutôt, je l’allège car je ne l’avais pas défaite). Je sais que je n’aurai pas le temps de repasser par chez moi. S. me signale que j’aurais pu réserver, à prix préférentiel, une chambre à l’hôtel de l’Université, dans le pavillon communautaire appelé « Illini Union ». Mais c’est déjà trop tard : ma réservation ne peut être annulée moins de vingt-quatre heures à l’avance...

Ne reste plus qu’à régler la question du transport jusqu’à Urbana (plus de 220 km par la route). Nouvelle erreur : il est 15h45 quand je songe à m’en préoccuper, pour m’apercevoir que le dernier « Mégabus » de la journée démarre à 16h00. Tant pis, je prendrai donc le train.  Il y en a un à 20h00. Je réserve une place. Et là je ne sais pas par quelle distraction... je ne termine pas la transaction. Quand je la reprends une demi-heure plus tard, on me dit que ma session est expirée et qu’il faut recommencer à zéro. Mais à mon grand dam, il n’y a plus de place ! « Seats sold out ». L’incrédulité fait vite place à la stupeur. Je commence à paniquer car je sais que, si je remets mon départ au lendemain matin, non seulement je gaspille de précieuses heures pour ma collecte de données mais qui plus est je perds une nuit d’hôtel onéreuse. Il ne reste qu’une solution, qui me répugne un peu mais je n’ai pas le choix : louer une voiture. Petite recherche sur Internet : il y a une agence Budget à quelques stations de métro de l’université, qui ferme à 20h30 en semaine, ce qui me laisse le temps de revenir d’Urbana après la fermeture des archives à 17h. Et le plus extraordinaire, c’est que pour 2 jours, taxes incluses, la facture n’est que de 66$, kilométrage illimité ! Avec l’essence (nettement moins chère qu’au Canada), ça revient à peine plus cher que le train (76$). On comprend mieux pourquoi ce dernier à tant de mal à concurrencer la voiture dans ce pays, sachant qu’on met à peu près autant de temps par le rail ou par la route. Après coup, je me demande comment j'aurais fait sans voiture là-bas, tellement le transport en commun m'y avait semblé compliqué la première fois. Quant aux taxis, où sont-ils?

C’est comme ça que j’ai pris la route, de nuit, sur l’Interstate 57 Sud, en direction de Memphis. L’agence n’avait pas de voiture « compacte » bien que ce soit la catégorie que j’avais réservée. J’ai donc hérité de la plus petite voiture disponible : une Dodge Avenger blanche. Le trajet m’a paru assez long. J’avais amené mon iPod, bien sûr, mais pas le câble au format « mini jack » pour le brancher sur la prise auxiliaire. Du coup j’ai passé le temps à balayer la fréquence FM, puis la fréquence AM. Mais un jeudi soir, il semble que les radios « parlées » ont toutes le même sujet de discussion : la religion, et bien souvent le micro est confié à un de ces évangélistes dont on sait les télés américaines friandes. Par exemple, dans ce qui m’est apparu comme un « publi-reportage » pour les témoins de Jéovah, une station narrait l’histoire édifiante d’un type qui, juste avant d’entrer au « college », avait fumé quelques joints pour faire comme les copains et s’était retrouvé en taule, et qui avait alors découvert la Bible et avait décidé de bâtir sa vie en fonction d’elle. Ailleurs un prédicateur expliquait les vertus du repentir. Sur une autre fréquence, une ligne ouverte où il était question des mormons qui contrôlent sévèrement le taux d’alcool des bières vendues en Utah. Cette emprise de la religion sur la sphère publique me fait un peu froid dans le dos. Sommes-nous vraiment dans une république?

Durant le trajet mes deux préoccupations majeures étaient de ne pas m’endormir et de ne pas me faire arrêter pour excès de vitesse. Or c’est le lendemain soir, en plein centre-ville d’Urbana, que j’ai perdu mon « pucelage » d’arrestation par la police. Je cherchais un endroit sympa où dîner. Mais comme c’était la semaine de relâche (spring break), la ville-campus était littéralement vidée de sa population. Si bien qu’à 21h00 tout était fermé, les rues désertes. En plus le centre était en travaux. Un détour. Plein de sens uniques. Finalement, je croise une voiture de police à un stop. Je lui cède la priorité, puis je tourne à gauche à sa suite. Il s’arrête. Gyrophares éteints. J’hésite un instant. Je m’arrête aussi. Je fais bien. Le flic descend et vient me voir. Je baisse ma vitre.
– Vous n’avez pas vu le panneau d’interdiction de tourner à gauche sauf les autobus ?
– Non, monsieur... Je ne suis pas d’ici.
– OK. Alors...
Et là bien sûr je m’attends à ce qu’il enchaîne en me demandant mes papiers et tout le kit. Mais non !
 ...faites attention la prochaine fois.

Et that’s it ! C’était mon jour de chance. Un policier américain poli et indulgent... qui ne vérifie même pas mon identité ! (j’avais apporté mon passeport au cas où). Il faut dire que les villes jumelles d’Urbana et de Champaign ont un petit quelque chose d’à la fois majestueux et décontracté qui détone avec le reste de cet État champ de maïs, de ce Mid-West rural qui l’encercle. Inauguré tout juste au sortir de la Guerre de Sécession (1868), le campus doit son existence à la loi Morrill, appuyée et promulguée par Abraham Lincoln, visant à créer des universités publiques dans tous les États américains pour rendre l’enseignement supérieur accessible à tous. Au centre-ville, 80% des édifices et même des stationnements appartiennent à l’université, qui dispose même de son propre aéroport! Ces bâtiments à colonnades et devantures défraîchies confèrent à la ville son charme suranné. Petite anecdote : il a fallu que j’aille à Urbana pour trouver enfin du pain digne de ce nom (sans sucre!), dans une boulangerie en sandwicherie simplement nommée « The Bread Company ». Profitant de la voiture, j’en ai ramené toute une provision à Chicago.

Et parlant du retour à Chicago, pas grand-chose à signaler si ce n’est que, comme j’aurais dû m’y attendre, c’est toujours bien plus impressionnant d’arriver dans une grande ville en voiture que d’en sortir. Avec la perspective, en arrivant du Sud à la tombée du jour, on voit soudain se dresser le centre-ville comme une montagne de béton, d’acier et de verre illuminé. Une image que je ne suis pas près d’oublier et qui, à elle seule, valait le voyage.

lundi 4 avril 2011

Revenir

Il y eut un aller et il y eut un retour. Assis face à l’immense baie vitrée, je cligne des yeux en contemplant le tarmac de l’aéroport de Toronto, réfléchissant un généreux soleil d’avril. Au loin, l’aiguille de la tour du CN se dresse dans le smog. Entre ici et là-bas, on dirait qu’il n’y a rien. Pour la première fois depuis des lustres j’ai ressenti cette vague angoisse en quittant le sol montréalais sans savoir quand je pourrais y revenir pour de bon, ce qui est passé à un cheveux d’être imminent. Il y a un nom pour ce pincement au ventre : la mélancolie de l’exil.

À part cela, rien à signaler ; les avions Bombardier CRA/CRJ de 50 places d’Air Canada n’ont plus de secret pour moi. Je demande toujours un siège dans la rangée D, à droite du couloir, et si je ne l’obtiens pas, j’embarque dans les derniers pour choisir une place libre où j’aurai deux sièges pour moi tout seul. Sitôt installé je démarre le système vidéo pour que la page de publicité imposée soit déjà passée quand, une fois les consignes de sécurité diffusées, le système se réinitialisera. Absorbé dans Le Discours du roi en v.o., je néglige de regarder le skyline de Chicago passer sur ma gauche, en arrivant du lac, comme ces avions que je regarde passer au Nord et qui semblent si proches, assis sur les gradins de ciment, face au lac infini.

Quand on débarque au terminal 2 de l'aéroport O'Hare, on a presque l’impression d’être au « terminus Voyageur », la gare routière de Montréal. Les gens attendent le prochain avion. Pas de douane (on l’a déjà franchie au Canada, petite incongruité qui en dit long sur l’inféodation de ce pays à son puissant voisin). On descend un escalator, la valise nous attend déjà. Un autre escalator et on se retrouve dans un long corridor qui aboutit à la station de métro. De chaque côté, deux tapis roulants à l’arrêt, dont l’accès est condamné et sur lesquels, le matin, on trouve des sans-abri encore endormis. À quelques pas de là, l’entrée du Hilton.

Dans le métro en face de moi un mec au look gangsta, avec des lunettes de soleil Ray-Ban, fredonne dans son cellulaire. Il fait encore clair quand je descends à la station Addison-Blue. L'air est doux. Ça sent le printemps. Un panneau indique que le stade des Cubs, Wrigley Field, se trouve à 3 miles vers l’Est. En marchant, je mettrais une bonne heure pour me rendre chez moi.

mardi 15 mars 2011

Chi-rish

À Lincoln Park, quelque chose a changé. Le lac est plus bavard, comme excité. Les berges sont baveuses d’algues vertes. Le brouhaha des vagues ponctué de quelques cris de goélands revenus du Sud. Comme cette oie bernache aperçue, de la fenêtre du bus, juchée sur un tas de neige noircie au milieu d’un terrain vague avec l’air de se demander ce qu’elle foutait là. Pas l’ombre d’un brun d’herbe encore.

Mais Chicago se met au vert pour souligner la Saint-Patrick. Tradition vigoureuse ici, comme la communauté irlandaise surnommée « chi-rish ». Samedi, tous les Chicagolais étaient irlandais. On porte du vert, on se teint les cheveux en vert, on boit de la bière verte, comme l’eau de la rivière Chicago elle aussi teinte en vert fluo – pas très écolo et d’ailleurs les « bacs verts » brillent par leur absence...

Tiens, justement, j’ai envie de partager avec vous quelques nouvelles de la Cité des vents. D’abord, petit retour sur les élections à la mairie de Chicago, que j’avais complètement zappées puisque elles avaient lieu le jour de mon départ pour Montréal, le 22 février dernier. Sans surprise, c’est Rahm Emanuel, l’ex-bras droit de Barack Obama à la Maison Blanche, qui a remporté la course, bénéficiant d’une large victoire (55%) malgré un nombre record de candidats et une campagne semée d’embûches. Dans deux mois exactement, c’est une page de l’histoire politique de Chicago qui se tournera, alors que la dynastie Daley (père et fils) rendra les clés de la ville après un demi-siècle de règne presque sans partage.

Autre nouvelle notable annoncée la semaine dernière : l’abolition de la peine de mort dans l’Illinois par le gouverneur démocrate Pat Quinn, et ce, malgré son préjugé (avoué) plutôt défavorable à cet abolition : il a toutefois estimé que « l'exécution d'innocents [...] hypothèque la légitimité même du gouvernement » et que par conséquent, elle ne pouvait être tolérée. L’Illinois devient ainsi le 16e État américain à abolir la peine de mort et je dois dire que j’en suis assez fier. J’ai une pensée pour ces hommes et ces femmes qui à partir d’aujourd’hui ne se demanderont plus tous les jours s’ils mourront demain. Il faut savoir que lorsque plus de 50% des États (c’est-à-dire 26) auront pris la même disposition, la peine de mort pourra être considérée inconstitutionnelle aux États-Unis en vertu du 8e amendement.

Chicago s’est aussi retrouvée dans l’actualité récemment parce que c’est ici que plusieurs parmi les 14 sénateurs démocrates du Wisconsin ont trouvé refuge durant près de 3 semaines, pour tenter d’empêcher (par défaut de quorum) le vote d’une loi extrêmement controversée. Celle-ci a d’ailleurs déclenché un mouvement de mobilisation monstre jamais vu aux États-Unis depuis les manifestations contre la Guerre du Vietnam (100 000 personnes dans les rues de Madison, samedi). Finalement les Républicains ont trouvé une façon de contourner l’obstacle et réussi à faire passer la loi, qui prive notamment les fonctionnaires du droit de négocier une convention collective. Déjà, cette offensive contre les syndicats de la fonction publique fait tache d’huile dans les nombreux autres États dont se sont emparés les Républicains en novembre dernier, et, ce qui se profile derrière, c’est une stratégie pour priver le Parti démocrate d’un allié majeur qui contribue massivement à ses caisses électorales.

Sur une note plus légère, l’une des universités les plus prestigieuses de Chicago, Northwestern (voir Recyclage), a fait parler d’elle récemment, et c’est en écoutant Le Forum du Mouv (émission de radio française) via Internet que j’ai appris l’anecdote qui fait scandale : un prof de sexologie a invité un couple à faire une démonstration « live » d'un gadget sexuel hardcore, avec orgasme sur la scène de l’amphi ! Le prof invoque sa liberté académique. Bref, on ne s’ennuie pas à Chicago.

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dimanche 6 mars 2011

Revenant

Il s'est passé un truc « énorme » jeudi. La secrétaire de mon département a reçu un appel de la Chicago Transit Authority (CTA): c’était le service des objets trouvés du garage de la rue Kedzie qui appelait pour dire qu’ils avaient mon laptop ! Quatre semaines jour pour jour après l'avoir perdu dans les circonstances rocambolesques que j’ai décrites, mais aussi après l’avoir déclaré perdu à ce même service. Je dois dire que je n'y croyais absolument pas, et j’ai fait le déplacement jusqu’au garage, dans le West Side, surtout par acquit de conscience. D’ailleurs, l’accueil sur place concordait tout à fait avec l’accueil téléphonique dont j’avais l’expérience. En arrivant à l’adresse indiquée au téléphone, je suis tombé sur une porte close. Me tournant vers une employée qui venait d’en sortir pour fumer une cigarette, je lui ai demandé comment je pouvais accéder au bâtiment. S’ensuit un dialogue surréaliste :
− The door is not closed.
− But I can’t open it !
− You need a key. You have it if you work here. 
− But... I don’t work here, I’m a customer.
− Yeah, I know... 

Sur ce, la jeune femme (noire comme la plupart des autres employés que j’aperçois) me montre les portes de garage immenses et grand ouvertes par lesquelles entrent les bus, mais, précise-t-elle, cet accès est strictement réservé au personnel. Une chance que j’avais gardé le numéro de téléphone sur moi ; je rappelle donc et on me dit d’entrer... par le garage justement. À l’intérieur, je tombe aussitôt sur une autre porte vitrée, elle aussi verrouillée. J’échange des signes avec un employé, qui fait signe à un chauffeur de bus de m’ouvrir. Je me retrouve devant ce qui ressemble à un parloir. Derrière la vitre, un homme d’âge mûr, l’air peu aimable et vaguement soupçonneux, s’étonne quand je lui dis que l’objet a été perdu quatre semaines auparavant. Il répète en appuyant sur les mots : « Four weeks ?! ». Quand il apprend qu’en plus il s’agit d’un ordinateur, il n’en revient pas, lève les yeux au ciel, me dit qu’il va vérifier puis disparaît.

Quelques minutes interminables s’écoulent, jusqu'à ce que l'employé me tende un étui poussiéreux. J’ai un doute, vite dissipé. Dans l’étui se trouvait mon netbook, tout à fait intact, avec la carte-mémoire et d’autres accessoires. J’étais éberlué. J’avais envie de poser des questions, de demander le pourquoi du comment, depuis combien de temps ils avaient mon ordinateur, qui l’avait rapporté, etc. Mais l’employé, expéditif et toujours aussi peu avenant, m’a tendu un registre à signer. Ce qui m’a frappé c’est que j’étais un des seuls signataires sur la page : à la place de la signature, les autres objets inscrits étaient suivis de la mention « DESTROYED »...

Pour tout indice sur ce qui est arrivé à ma machine, j’ai trouvé dans son étui une feuille où était imprimée ma page Web sur le site du département, avec des commentaires griffonnés dessus par l'employée de la CTA à qui j'avais parlé au téléphone, laissant deviner qu'elle avait tout simplement ouvert l'ordinateur (ses batteries encore chargées à 50% après 1 mois de veille !), vu s'afficher mon nom sur l’écran d’accueil (précaution que j’avais prise au cas où je l’aurais égaré dans une salle de conférence), tapé le nom dans Google, et qu'elle est tombée sur cette page. En fait ce que j'espérais dans les heures qui ont suivi la perte de l'appareil, mais plus du tout après quelques jours, encore moins plusieurs semaines ! Et le pire, c’est qu’ils avaient mes coordonnées et la description de l’objet quelque part dans leurs dossiers... C’est dire comme le service est bien organisé. Mais le plus miraculeux, c’est qu’il y a donc eu, dans cette histoire, toute une chaîne de gens honnêtes, un passager qui a confié l’ordinateur au chauffeur, lequel l’a rapporté au garage, etc. Le reste n’est que bureaucratie. Jusqu’à cette initiative d’une employée à qui je dois une fière chandelle... de même qu’à Google !

Quoiqu’il en soit, je retrouve ainsi, entre autres, toutes ces photos de Chicago que je croyais perdues. Attendez-vous à en voir plusieurs apparaître dans les prochains jours, histoire de fêter ça ! 

mercredi 2 mars 2011

French in Chicago (2)

On m’a souvent répété qu’ici l’accent français était un atout, qu’il me donnait du charme. J’ai pu m’en rendre compte, bien que l’effet ne soit pas spectaculaire. En tout cas, il trahit ma francophonie. Ces derniers temps, je n’arrête pas de rencontrer des gens, natifs américains ou pas, qui veulent parler français avec moi dès qu’ils décèlent mon accent (c’est-à-dire presque instantanément tant il est « à couper au couteau »). Au centre sportif de l’université tout particulièrement, où ce sont d’abord mes palmes qui attirent l’attention et provoquent la conversation. Comme dans le cas de Doug, beau brun que je croisais souvent au gym et qui attirait chaque fois mon regard. Je croyais qu’il l’évitait, méprisant cette marque d’intérêt. Alors qu’en fait ce n’était que de la timidité. Un soir, à la piscine, il est venu directement m’aborder pour me demander ce que je pouvais bien faire d’une ceinture de plomb. Je lui ai expliqué que je pratiquais l’apnée, et puis il m’a demandé si j’étais français, ajoutant aussitôt qu’il le parlait car il avait fait ses études secondaires au Lycée Français de Chicago. D’ailleurs, l’établissement, privé, est situé non loin de chez moi, à quelques « blocks » au Nord, et j’ai découvert qu’il n’existait que depuis une quinzaine d’années. On a parlé français pendant un moment et puis j’ai fait mine de vouloir commencer mon entraînement. Il insiste : « J’ai une autre question... » Il voulait savoir s’il avait un accent en français. Je lui ai répondu que oui, qu’il avait un accent américain (à croquer mais ça bien sûr je l’ai gardé pour moi) mais que je le comprenais parfaitement. Moue de déception. Autrefois, me dit-il (c’est drôle dans la bouche de quelqu’un qui n’a pas vingt ans), il parlait sans accent. Depuis, on échange quelques mots de français quand on se croise à la piscine.

Mardi prochain, c’est Mardi Gras à la soirée « French in Chicago », ralliement mensuel que j’avais découvert grâce à Axel, doctorant en sciences po dans la même université que moi. Je ne sais pas encore si je vais y aller. Après deux expériences plutôt sympathiques au café Paris in Chicago sur Halsted, la troisième et dernière en date m’a un peu refroidi. Elle se passait, cette fois, à La Boulangerie, qui comme son nom l’indique, vend du pain français (soi-disant le meilleur de Chicago), juste en face de Logan Square. Elle fait aussi café et on peut y casser la croûte en dégustant des sandwichs à la composition alléchante. Et à ceux qui se demanderaient si la fièvre des macarons a gagné Chicago, au moins je peux dire qu’on en trouve à La Boulangerie, y compris au caramel à la fleur de sel ;-) Le gérant, A., est un jeune Français rentré récemment à Chicago pour y épouser la femme qu’il avait rencontrée lors d’un précédent séjour. Il nous accueille, ce soir là, sans pain mais avec une portion de raclette.

Je suis arrivé sur le tard, quand la soirée battait son plein. J’aperçois Axel qui discute au milieu d’un groupe de Français de son âge, c’est-à-dire dans la vingtaine. Je ne sens pas d’ouverture pour me joindre à eux. Finalement je saisis l’occasion de le saluer, et pour dire quelque chose je lui demande s’il est toujours content de son séjour dans cette université. Il me répond en ricanant qu’il n’a jamais été content d’y être, que c’est une université de merde, et que dans son département il est entouré de cons. Je lui demande pourquoi, selon lui, il s’agit « d’une université de merde » :
− Parce qu’elle a une réputation de merde.
− Et tu le savais avant de venir ?
− Oui.
− Dans ce cas, pourquoi l’as-tu choisie ?
− Parce que j’ai pas été pris à l’Université de Chicago !

Et il est retourné papillonner parmi ses potes français. À côté, d’autres Français parlaient business. Je me suis retrouvé seul dans mon coin. Je me prenais à regretter l’ambiance conviviale de Paris in Chicago. La camaraderie chaleureuse de Jay, le traducteur-interprète. La jovialité un peu bourrue et pince-sans-rire de D., le Québécois de Chicoutimi. C’est Helena, tout sourire, qui vient me tirer de ma torpeur, m’appelant par mon prénom. Je l’avais aperçue mais la pensais sur son départ. On avait discuté à l’apéro de décembre. Américaine d’origine grecque, elle fait une recherche sur les « bi-culturels » et s’intéresse à mon cas ; on s’était promis de se contacter au retour des Fêtes pour prendre un café. Elle aussi trouve que l’ambiance est différente selon les lieux où se tiennent les apéros ; on n’y croise pas les mêmes gens. Elle me parle d’un autre groupe, plus orienté « réseautage » : le GPF (Groupe professionnel français), qui se réunit le dernier jeudi du mois. Je lui dis que ça ne m’intéresse pas.

Helena s’en va. Et je réalise que dans ces soirées, je ne m’entends vraiment qu’avec des non-Français. Les Français, quand ils ne vous connaissent pas ils vous jaugent, vous regardent en coin, sarcastiques, grinçants. Hâbleurs. Avec toujours ce demi-sourire condescendant si vous n’aimez pas les mêmes choses qu’eux, si vous n’avez pas fait les mêmes écoles, ou si vous ne travaillez pas comme expat’ pour une compagnie du CAC40. Ou que vous ne pensez pas, comme eux, que tout le reste, « c’est de la merde ». Je sais pourquoi j’ai quitté la France. Pourquoi je me suis trouvé si bien au Québec. La France, c’est la société du mépris. Où les rapports humains sont d’abord structurés par le besoin de se mesurer aux autres. Quand ils sont loin de leur hexagone, ils se rassemblent pour pouvoir perpétuer ce petit manège qui donne un sens à leur existence. Pas tous, bien sûr. Certains au contraire fuient cette grégarité, ces réseaux d’expats, cette culture du mépris. Je les ai trouvés à Montréal où ils sont légion, mais pas encore à Chicago.

vendredi 25 février 2011

Vingt-cinq

Nouveau retour à Chicago, après 72 heures bien remplies (intensément conviendrait mieux) à Montréal. Étrange récurrence : j’atterris un 25 février, six mois jour pour jour après mon installation, le 25 août. Et pour les plus attentifs, je suis rentré de Suède un 25 octobre et cela m’avait déjà inspiré quelques lignes. Rien de tout cela n’est voulu, ou conscient, mais j’aime cette ponctuation « accidentelle » de mon séjour étatsunien par ces arrivées (ces retours) à l’aéroport O’Hare. Cette fois, j’ai eu un moment l’impression que c’était presque devenu une routine, un peu comme ces étudiants qui traversent le continent pour passer les vacances ou un long week-end chez eux. Comme Anabelle qui rentrait une fois par mois retrouver son mari à Montréal. Aussi banal que de prendre un TGV en France, d’autant que les avions utilisés par Air Canada pour ses vols entre Chicago et Montréal ou Toronto sont de minuscules jets régionaux : un couloir, deux sièges de chaque côté... on se croirait presque dans un train. Si ce n’était tous ce stress, tous ce temps qu’on perd, ces délais d’enregistrement, ces mesures de sécurité, la kyrielle de règles, de consignes, de gestes pour se déshabiller, se déchausser, vider ses poches, sortir l’ordinateur, entrer dans le scanner en levant les bras, pieds écartés, comme en état d’arrestation, puis se rhabiller en vitesse, attendre de passer la douane américaine à Toronto, et les gens qui courent parce qu’ils vont manquer leur correspondance pour Los Angeles ou San Francisco, et les barrières en tissu que des employés reconfigurent en fonction de l’engorgement des guichets, nous traitant comme des paquets sur une chaîne de triage.

« J’aime bien vos chaussures », m’a dit un agent quand j’ai passé la sécurité, désignant mes palmes de chasse. Il faut dire qu’avec leurs 92 cm elles ne passent pas inaperçues. J’ai souri et répondu qu’elles étaient parfaites pour le Lac Michigan. Ayant fait le voyage aller presque à vide, j’en ai profité pour ramener des trucs, dont ces palmes. Une « can » de sirop d’érable aussi, que j’avais en stock, même si j’ignore ce que je vais en faire encore. Malgré cet alourdissement de mes bagages, je me sens plus léger – ô combien – qu’à l’aller. Comme si ce retour était aussi un nouveau départ. 

mardi 15 février 2011

Taxi, suivez ce bus!

Je suis un peu à la course. Je ne veux pas manquer un séminaire qui s’annonce très intéressant. Le conférencier arrive tout spécialement du Massachusetts et a dû affronter toutes sortes de difficultés à cause de la tempête. C’est donc le cas de le dire : il est venu, contre vents et marées. Raison de plus, si j’ose dire, pour l’honorer de ma présence. En montant dans le bus, je lui demande si la circulation est encore ralentie par la neige. Il me répond qu’elle est  « smooth ». Je profite du trajet pour écrire un billet pour ce blog. Cette fois, c’est le récit de la tempête. Mes photos, prises et triées la veille, sont prêtes à mettre en ligne. Mais au cas où, les autres sont sur la carte-mémoire, laquelle est insérée dans l’ordinateur.

Absorbé, je ne vois pas le temps passer. Mon texte est presque terminé quand j’aperçois l’enseigne bleue du métro, la station qui dessert le campus Est de l’université. C’est là que je descends habituellement, même si cela me rallonge un peu car le bus s’arrête ensuite à l’entrée du campus. Je préfère en effet traverser le parc qui sépare l’université de l’autoroute, couper à travers champ, et profiter ainsi des rayons du soleil de l’après-midi, autrement arrêtés par les bâtiments du campus. Et au final, je gagne du temps, car le bus est souvent arrêté au feu rouge, ou retardé par le chargement et le déchargement de passagers prenant ou arrivant du métro. Toutefois, cette fois j’ai un soupçon d’hésitation. À deux moments. D’abord au moment de me lever de mon siège, car je me dis : à quoi bon me précipiter pour m’habiller, de toute façon, il y a sûrement trop de neige pour couper à travers le parc. Mais comme je sens que ça va traîner et que je ne veux pas arriver en retard, je décide quand même de descendre à cet arrêt. Je me dépêche donc de zipper mon manteau, j’enfile mon sac de sport sur les épaules, et finalement je prends le sac que je porte en bandoulière, et qui contient mes dossiers et mon netbook. Dehors, le soleil est éclatant et réchauffe. Là, j’ai une deuxième hésitation alors que le bus est encore à l’arrêt. Ai-je bien mes gants ? Ma tuque ? Oui. Je me lance alors dans la traversée du champ de neige. C’est plutôt facile, je n’ai qu’à mettre mes bottes dans les traces qui m’ont précédé. Je me dis que je prendrais bien quelques photos des gratte-ciel du centre-ville, avec la neige au premier plan, mais je n’ai pas le temps.

Trois, peut-être quatre minutes se sont écoulées quand j’arrive à la jonction du sentier improvisé et de la rue longeant l’université. C’est là que je réalise que mon sac est trop léger. Même pas besoin de l’ouvrir : je tâte, et ma crainte est confirmée. Mon sang ne fait qu’un tour, mais ma première réaction est de me dire que c’est cuit, qu’il n’y a plus rien à faire, qu’à me rendre à ma conférence. Mais non, dans un accès de pensée magique, je fais demi-tour et décide de me rendre (en courant) à l’arrêt de bus où, c’est maintenant une certitude, j’aurais dû descendre. Le bus a bien évidemment déjà disparu au loin. Sur la borne de l’arrêt de bus est indiqué le numéro de la CTA. J’appelle. Je rêve vaguement qu’ils appellent le chauffeur de mon bus par radio... Et je me dis qu’au moins, ils me diront la marche à suivre. Évidemment je rêve en couleur. Le numéro de la CTA sonne dans le vide.

C’est alors qu’une autre idée un peu folle me passe par la tête. J’aperçois un taxi qui attend que le feu passe au vert à l’intersection, je lui fais signe, je monte, et je lui explique que je cherche à rattraper le bus qui vient de partir. Et nous voilà lancés à sa poursuite. Mais comme il n’y a qu’une voie, impossible de dépasser, impossible donc de rattraper ledit bus, qu’on finit par deviner, au loin, nous fuyant tel un mirage dans le désert. Et puis une voiture de police se retrouve derrière nous. Si bien que pendant un long moment, mon chauffeur respecte scrupuleusement les limites de vitesse, ne passe pas quand le feu vire à l’orange, etc. Je perds de vue le bus. Je n’ai aucune idée du chemin qu’il reste encore à parcourir jusqu’au terminus, mais l’on voit toujours les arrêts s’égrener avec le numéro de ma ligne (8-Halsted). Je me dis qu’à chaque arrêt, mes chances de retrouver mon netbook diminuent exponentiellement. Mais seule chance est que le passager qui l’a trouvé l’ait remis au chauffeur.

Craignant que le bus termine sa « run » avant qu’on ne l’ait rattrapé et ne soit déjà reparti en sens inverse, je dévisage les chauffeurs des bus que l’on croise, essayant d’identifier le mien. Toujours pas de bus devant. Presque plus de voitures non plus. Nous sommes maintenant dans le Southside, les bâtiments sont plus épars, plus industriels. Les piétons plus rares. Les arrêts de bus déserts. Le chauffeur m’explique qu’en bout de ligne, le bus n’ayant presque plus de passagers, il doit filer à vive allure et qu’il a dû prendre de l’avance sur nous. Mais comme la police ne nous suit plus, il me promet d’aller plus vite et m’assure qu’on va le rattraper. Et finalement le voilà. On s’arrête derrière lui au feu rouge. Je dis au chauffeur de taxi de m’attendre et me précipite dans le bus, pour constater que quelque chose ne va pas. Ce n’est pas le bon chauffeur. Ce n’est pas le bon bus non plus (la disposition des sièges est différente). Très gentiment, le chauffeur, afro-américain comme la plupart des chauffeurs de cette ligne, m’explique que j’ai dû dépasser le bus en question, car à un point du parcours, il s’écarte momentanément de la rue Halsted pour se rendre à une station de métro sur la ligne orange. Il me donne aussi le numéro de l’un des deux garages où les chauffeurs de cette ligne déposent les objets trouvés quand ils ont fini leur service. Il me dit de l’appeler pour avoir le numéro de l’autre.

Je retourne à mon taxi. Le compteur indique déjà 15$. Les taxis sont vraiment bon marché à Chicago, mais je préfère arrêter les frais et prendre le bus que je vois approcher pour retourner à l’université. Il m’en aura coûté 20$ avec le pourboire, que j’ai voulu généreux. Dans le bus du retour j’ai appelé les deux garages en question. On m’a dit de rappeler en fin de journée. Je suis arrivé à temps pour assister à la fin du séminaire. Mais j’étais ailleurs, tétanisé. Je n’ai évidemment jamais eu de nouvelles de l’ordinateur, qui affiche pourtant mon nom lorsqu’on l’ouvre. Ce qui m’a fait le plus de peine, c’est finalement la perte de toutes les photos que j’ai prises depuis mon arrivée à Chicago. Les seules qui me restent sont celles qui illustrent ce blog.

samedi 5 février 2011

Tempête

Ces photos devaient être le clou de ce blog. Imaginez un peu : des voitures ensevelies sous un mètre de neige. Lake Shore Drive, la voie rapide bordant le lac, fermée à la circulation sauf pour les camions transportant la neige, et donc livrée aux piétons téméraires fous de joie de pouvoir ainsi l’enjamber allégrement pour accéder à Lincoln Park et aux berges sans avoir à emprunter le tunnel. Et les gens étaient nombreux à avoir pris congé, en ce lendemain de tempête (la 3e plus importante dans les annales de la ville). Et les chiens aussi, car Chicago est une ville de chiens. J’aurais aimé vous montrer ce teckel frigorifié malgré son manteau en tricot de laine avec le mot « BEARS » en grosses lettres dessus. Et surtout le lac, transformé en banquise, avec une couche de 25 cm de neige flottant à sa surface, discrètement fracturée par endroits, et l’on voyait comme des plaques tectoniques s’écarter ou se rapprocher imperceptiblement par les mouvements indolents d’une eau d’un bleu sombre et si calme après le déchaînement de la veille. Étendue blanche contrastant avec un ciel encore gris plomb vers l’Est, quoique bientôt déchiré en son milieu d’un grand lambeau d’azur, tandis qu’à l’Ouest, le ciel s’éclaircissait à mesure que l’heure avançait, se moutonnant de petits nuages gris formant une texture étrangement régulière, surréelle.

Les berges, à cet endroit, sont bétonnées, et échelonnées en gradins s’étirant à perte de vue. Plutôt laid, cet « ouvrage d’art » titanesque semble avoir été placé là pour tenir en respect un autre géant, brisant ses lames par son contour crénelé, les forçant à transformer leur course horizontale en jaillissements verticaux de gerbes d’écume, qui en retombant laisse au sol une mousse verdâtre que l’on retrouve desséchée par le vent. Ce jour-là, les « gradins » avaient disparu sous la glace et la neige, si bien qu’on n’aurait su dire, à vue d’œil, où s'arrêtait la berge et où commençait le lac. Et l’on croyait voir des gens marcher sur le lac alors que c’était pure illusion.

Mais revenons à cette fameuse tempête. Dans les jours qui l’ont précédée on ne parlait que d’elle. Dans tous les médias, y compris (tardivement) dans les courriels officiels de l’université, le même message : « Ne vous déplacez pas ; restez chez vous ! ». La veille, j’ai croisé un vieux prof déjà emmitouflé de pied en cap dans une énorme parka, me prédisant l’apocalypse. Il exagérait, mais cette fois, les prévisionnistes météo ont visé dans le mille. Cinquante centimètres de neige, et jusqu’à soixante dans mon secteur, près du lac. Un blizzard polaire avec des rafales atteignant 100 km/h et soulevant des vagues de plusieurs mètres sur le lac. Au moins 2000 vols annulés à l’aéroport O’Hare, plaque tournante en Amérique du Nord. Des automobilistes contraints de passer la nuit dans leur voiture, coincés sur la route avec 0 m de visibilité derrière des chasse-neige impuissants à dégager les rues tant la neige tombait dru par moments. Un voisin m’a dit qu’il lui avait fallu plus de 5 h pour rentrer chez lui en bus, alors que son trajet habituel ne prenait d’ordinaire qu’une trentaine de minutes.

J’ai donc drôlement bien fait de rester chez moi. Sans être vraiment inquiet, mais craignant une panne de courant, j’ai pris la précaution d’acheter quelques chandelles et du « bois » de chauffage (à combustion propre et fait de matières recyclées). Comme mon chauffage est entièrement électrique, je me suis dit que c’était une bonne occasion d’essayer ma cheminée. Bien m’en a pris. J’étais au chaud, dehors le vent faisait rage, mais ce n’était pas la première fois. Vers 22h, j’entends gronder le tonnerre et dehors, des éclairs illuminent par flashes un ciel déjà phosphorescent : par-dessus le marché, on avait droit à un orage! J’ai su par la suite que ce phénomène plutôt insolite en pleine tempête de neige portait le nom de « thundersnow ». Les lumières vacillent et je comprends qu’on ne s’en sortira pas à si bon compte. Vers 22h30, le courant saute pour de bon. Et là je me suis rappelé brusquement la tempête de verglas de 1998, au Québec. Et le chaos qui avait suivi, plongeant mon quartier dans l'obscurité pendant deux interminables semaines. J’ai réalisé à ce moment-là qu’il se pouvait très bien que nous soyons privés d’électricité pendant 24 ou 48 h ou même plus. Je me suis donc habillé chaudement, j’ai pris ma lampe de poche sur moi, et j’ai décidé de retourner chez Jewel-Osco (ouvert 24h/24), pour acheter davantage de chandelles et de combustible, ainsi que de la glace pour le congélateur et même de l'eau minérale (les usines de traitement des eaux ayant besoin d'électricité pour fonctionner). En fait, nous étions un de seuls pâtés de maison sans électricité. De l’autre côté de la rue, les entrées d’immeuble étaient éclairées. Et comme je l’espérais, le supermarché était bel et bien ouvert. Et contrairement à l’après-midi où c’était la cohue, il n’y avait presque personne. J'ai pu faire mes emplettes tranquillement. Et les rayons n'avaient pas été dévalisés...

Finalement, cette soirée passée seul à la chandelle et au coin du feu à écouter la radio sur batterie fut l’une des meilleures depuis longtemps. Malgré ou peut-être grâce à la vague appréhension que j’avais, hanté par le spectre de la « crise du verglas », surtout après avoir entendu le message enregistré de ComEd (Commonwealth Edison, la compagnie d’électricité), indiquant que des milliers de clients étaient dans le même cas et que, compte tenu des conditions « sévères », ils ne pouvaient annoncer aucun délai de rétablissement. (J’ai su par la suite que tout près de 200 000 clients, rien qu’à Chicago, avaient passé la nuit sans électricité et donc, pour certains, comme moi, sans chauffage.) Malgré tout, j’ai pu « surfer » sur le Net momentanément, en me connectant sur le réseau non sécurisé d’un voisin. Non, je n’ai pas pensé à bloguer à ce moment-là, ni à « tweeter ».

Le courant n’est revenu chez moi que vers midi et demi le lendemain (après 14 h de coupure donc), et je peux vous dire que je commençais à trouver le temps long… et l’air frisquet. J’ai décidé de sortir, car le vent était tombé et le soleil commençait à percer. Une énergie très particulière emplissait les rues. Les Québécois connaissent bien le phénomène : après une bonne bordée de neige, les adultes redeviennent des enfants. Les gens se sourient et se parlent dans la rue. Ils jouent. Se roulent dans la neige.

Par chance, très peu d’arbres ont été endommagés par la tempête, dans mon quartier du moins, sauf quelques-uns à Lincoln Park. J’étais surtout attiré par le lac. Car j’étais allé y faire un tour quelque temps auparavant, et je l’avais trouvé partiellement gelé. Malheureusement je n’avais pas apporté mon appareil photo. Cette fois je comptais bien me rattraper. J’ai appelé Jorge et Andrea. Je ne voulais pas qu’ils manquent ça. Heureusement car j’y suis retourné deux jours après et la banquise avait disparu. Évaporée. Ce sont les photos de Jorge qui illustrent ce billet (avec sa permission). Les miennes se sont volatilisées en même temps que mon netbook, dans des circonstances aussi stupides que rocambolesques que je vous raconterai la prochaine fois.

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lundi 31 janvier 2011

Rats

J'adore rester tard à l'université. Je veux dire très tard, quand je ne croise presque plus personne. Ça permet de connaître intimement les murs, les corridors, les moindres recoins. On finit par se fondre soi-même dans ces murs, par faire partie des meubles.

J'ai mis du temps (je veux dire : des semaines) à ne plus tourner en rond dans ce pavillon « des sciences du comportement ». On dirait que l'architecte a pris un malin plaisir à s'inspirer des expériences des psychologues behavioristes sur les rats de laboratoire. Vous savez, quand la souris doit trouver le fromage au centre du labyrinthe. La photo qui suit vous fera comprendre ce que je veux dire...


Des rats d'ailleurs il y en a, pas loin. Sur le campus, on les entend remuer le contenu des poubelles. On les aperçoit parfois, à l'heure où les passants se font rares, certains gros comme des lapins... Je soupçponne qu'il s'agit en fait d'opossums. Ils hantent les rues de Chicago, la nuit, grattant le fond des poubelles des immeubles, pourtant abritées derrière des portes grillagées. Un soir, j'en ai vu un devant chez moi, énorme (peut-être 50 cm du museau à la queue), qui se promenait tranquillement dans le caniveau, entre les roues des voitures.

jeudi 27 janvier 2011

Américain

Je suis dans le bus, les notes du premier mouvement d'un célèbre concerto pour piano de Tchaïkovski déferlent dans mes oreilles et je vois monter ce mec et je reconnais sur son bonnet le « C » des Bears, l'équipe de football (américain) de Chicago qui vient de rater de peu sa place au Superball et soudain je me dis que j'aime cette ville, ses gens, que je m'arrange peut-être pour y rester un peu plus longtemps que je le pensais. Presque malgré moi. Comme, par exemple, lorsque je fais l'impasse sur un poste au Canada que j'aurais peut-être pu décrocher, une erreur de jugement que je ne m'explique pas ayant postulé (d'ailleurs sans trop y croire) dans trois universités américaines...

Scène banale : je prends l'escalator pour me rendre au service de reprographie de l'université situé dans le « Student Center » et je suis témoin d'un échange entre deux étudiants américains, de deux « ethnicités » différentes. L'un raille gentiment l'autre parce qu'il se rend au gym en tenue très légère alors qu'il fait -6 dehors et celui-ci lui rétorque qu'il s'y rendrait nu s'il le pouvait (comme les athlètes Grecs allant au gymnase ?). J'entends et je comprends leur accent typiquement américain et c'est comme de la musique à mes oreilles. Il y a des moments où il faut presque que je me pince pour réaliser tout ce que cette banalité a d'extraordinaire. Sans doute pas pour ces milliers de jeunes Français qui déferlent chaque année sur les campus américains. Mais pour moi ce l'est. C'est la concrétisation d'un rêve pas tout à fait articulé, en 2000, alors que je mettais pour la première fois les pieds dans une université américaine, au Kansas. Un an plus tard, presque jour pour jour, j'assistais en direct à la chute des tours du World Trade Center et dans les années qui suivirent ma fascination pour ce pays s'est muée en dégoût. Je crois que la campagne puis l'élection d'Obama ont provoqué en moi le déclic qui a réactivé mes vieilles attirances refoulées.

Américain, je le suis devenu un peu plus hier, en allant faire ma demande de numéro de sécurité sociale (Social Security Number ou SSN), un véritable sésame dans ce pays où tout est très compliqué si vous n'avez pas ce fameux numéro. En principe, mon statut actuel ne m'autorise pas à avoir un. Mais j'ai appris de mes amis latinos qu'ils étaient peu regardants; comme quoi... De bon matin, j'ai donc accompagné Andrea, la femme de Jorge (mes voisins colombiens), au centre administratif le plus proche (situé quand même à une grosse demi-heure de chez moi en métro et bus). C'était une chose qu'elle reportait depuis un moment, car il faudrait qu'elle travaille, mais elle s'en passerait bien, préférant se consacrer à ses études doctorales en philo. Or, impossible de recevoir une paie sans ce fameux numéro. Tout s'est passé comme une lettre à la poste. Nous avons attendu (pas très longtemps) dans une classique salle d'attente d'un centre de services gouvernementaux, dont la paix ne fut que momentanément troublée par la question d'un agent de sécurité qui s'enquérait du propriétaire d'un sac non identifié... Je m'attendais à ce qu'on évacue sur-le-champ, mais non, rien de tel. Ambiance placide, décontractée, comme si aucune menace, au cœur d'un quartier périphérique de cette ville de l'Amérique profonde, ne pouvait nous atteindre. Je m'attendais à toutes sortes de question de l'employée qui s'est occupée de mon cas. Mais pas du tout, elle a été absolument charmante avec moi dès qu'elle a reconnu l'en-tête de l'université où elle a fait ses études, me souhaitant la bienvenue et me confiant son étonnement d'avoir servi trois Français depuis le début de la matinée, un record. « C'est peut-être le début d'une tendance », que je lui fais, avec le genre de sourire que vous faites aux douaniers en n'attendant qu'une chose : qu'ils en finissent au plus vite avec vous. « You are all set », finit-elle par me dire. Je recevrai ma carte d'ici une à deux semaines. C'était aussi simple que ça.

jeudi 20 janvier 2011

Dégagement

Le ciel s'est enfin éclairci. Grand soleil et froid vif. Ici, quand il fait -10 avec un petit vent, les autorités lancent des alertes au froid extrême. C'est plutôt rassurant quand on y pense.

Je dois dire qu'auparavant, et depuis mon retour la semaine dernière, il a fait un temps exécrable à Chicago. Point culminant avant-hier avec de la bruine verglaçante toute la journée. Ça n'aide pas à « positiver ». Je sais que parfois, un problème somme toute pas si grave (si on le compare à d'autres coups durs qui peuvent briser une vie) peut prendre des proportions exagérées en particulier quand on est loin des siens, loin de sa base, et vous plomber carrément le moral. Vous vous rappelez le film Seul au monde, ce drame quand le naufragé incarné par Tom Hanks perd son ballon « Wilson » ? Son seul « ami » sur cette île déserte... C'était la fin du monde. Or j'ai quand même un gros avantage sur lui car, malgré la distance, mes amis, mes proches, sont là. Au moins sur Skype, ou encore sur MSN. Et bien sûr par courriel. (Mention spéciale à Skype toutefois, avec lequel la sensation de coprésence est de loin la plus poussée à mon avis, surtout quand la vidéo est activée.)

Quoi qu'il en soit, j'ai aussi retrouvé mes amis « locaux », et ce, dans les jours qui ont suivi mon retour, sans que ce soit vraiment forcé de ma part, mais j'avais besoin de reprendre contact rapidement. De reprendre aussi mes routines où je les avais laissées. Piscine, musculation avec Sergio (en attendant son départ imminent pour la Californie). Apnée hier soir avec Jeremy, une nouvelle recrue. Et bien sûr l'université, le travail, le projet de recherche qui tarde à décoller, les petites victoires quand un autre papier en anglais est accepté pour un congrès majeur, les études aussi en auditeur libre avec mon superviseur, qui anime un autre très intéressant séminaire ce semestre.

Il paraît que nous avons de la grande visite à Chicago aujourd'hui : rien de moins que le président de l'Empire du Milieu, Hu Jintao, qui vient voir une usine chinoise de pièces automobiles, sans doute accompagné par son homologue et révérencieux hôte, Barack Obama, en pleine remontée dans les sondages. Chicago où, d'après mon concierge (on l'appelle plutôt engineer, ingénieur... car il fait des réparations mineures), il est encore possible, crise oblige, d'acheter un appartement neuf pour 45 000$. Mais il faut – tenez-vous bien – débourser 300$ chez un dentiste pour le moindre plombage. D'ailleurs la première question qu'on m'a posée quand j'ai appelé un dentiste du centre-ville pour savoir s'il pouvait me prendre plus rapidement que l'autre, c'est : « Quelle assurance avez-vous ? ». Même les garages automobiles ne vous demandent pas ça! Ça explique aussi qu'il soit pratiquement impossible d'obtenir un rendez-vous à l'école dentaire de l'université. Pour rendre moins odieuse la sélection arbitraire des patients et sans doute éviter des files d'attentes dignes de pays sous-développés (et d'avoir à renvoyer tous ces gens chez eux faute de place), ils ont instauré un genre de loterie téléphonique, comme dans les concours à la radio ou à la télé. Après 40 minutes de tentatives infructeuses de joindre le standard pour décrocher un rendez-vous de triage (screening) pour la semaine suivante, j'ai jeté l'éponge. Il s'avère plus rentable pour moi de prendre l'avion pour aller me faire soigner à Montréal. C'est dingue quand on y pense. 

samedi 15 janvier 2011

Une dent contre moi

Ironie. Quand je relis mon précédent « billet », je ne peux que constater la relativité des problèmes. Une simple dent a fait de mon histoire de plancher le cadet de mes soucis. Chronologie des événements. Mercredi soir, je rentre exténué d'une longue journée de rentrée à l'université. Plutôt que de me rendre directement chez moi, je passe par Whole Foods pour faire quelques provisions car je meurs de faim et je n'ai rien chez moi à me mettre sous... la dent. Laquelle dent, sans crier gare, se casse net sur une biscotte multigrain bio du bien nommé Dr Kracker (on sait pourquoi maintenant). L'ennui c'est que la prémolaire en question s'est fracturée verticalement, s'ouvrant en deux jusqu'à l'os. Aucune douleur, ni d'effusion de sang: la dent est morte depuis longtemps. Elle continuait cependant à me rendre de bons et loyaux services jusqu'à cette soirée fatidique.

Courriel à S. (mon superviseur de stage), qui m'avait vanté les mérites de son dentiste. Il me dit de laisser un message vocal, peu importe l'heure. Je rappelle le lendemain matin à 7h30 à sa clinique, j'obtiens un rendez-vous pour l'après-midi. C'est à Skokie, en banlieue nord. Je loue donc une « zipcar » pour quatre heures (40 $), pour avoir de la marge. Le dentiste est tout à fait charmant et compatissant. Il commence par m'extraire le morceau mobile qui ne tenait que par la gencive. Puis tombe son diagnostic : il faut arracher la dent et la remplacer par un implant. Coût des travaux : 5000$. Oui, vous avez bien lu : 5K, cinq mille. Pour une dent. Et tout est à l'avenant. Coût d'une extraction simple (par un « oral surgeon ») : environ 400$. Mon dentiste montréalais me dit de temporiser. Il y a des jours où l'on préférerait avoir des réparations majeures hors garantie à faire sur sa voiture! Quand il est moins luxueux d'avoir une voiture qu'une dentition saine, ça laisse penser que quelque chose ne tourne pas très rond dans un pays « développé ».

mercredi 12 janvier 2011

Prise deux

Combien faut-il d'absences, et combien de retours, pour que chez soi devienne vraiment « chez soi » – home, comme on dit en anglais? Chaussures à la main (pour le bureau), j'attends comme un con un bus qui ne vient pas. L'horaire aurait-il changé le premier janvier? Quelque chose d'autre, d'indéfinissable dirait Barbara, a changé, presque imperceptiblement. Peut-être est-ce cette tache en plein milieu de mon parquet, certes vieux et usé, érodé, râclé, balafré par endroits mais tellement « vintage » qu'il était devenu l'emblème de cet appartement dont F. m'a fort justement fait remarqué que j'étais si fier. Morsure corrosive d'un chiffon sans doute laissé là, imprégné de solvant, par les ouvriers venus refaire l'émail de ma baignoire en mon absence.

Rien de tel qu'un verre au Sidetrack, puis un resto mexicain avec quelques amis américains pour retrouver mes marques en anglais, moi qui craignais d'être rouillé après quatre semaines de bain francophone. J'étais assez rouillé en tout cas pour avoir eu un surprenant trou de mémoire à l'aéroport de Montréal, quand l'employée au comptoir d'enregistrement m'a demandé mon adresse aux États-Unis. Je me rappelais la rue, le code postal, etc., mais pas moyen de me rappeler le numéro civique! C'est finalement l'employée qui a eu l'idée de vérifier l'étiquette que j'avais attachée à ma valise...

Après un transit par Toronto (somptueuse vue nocturne sur la mégapole à l'atterrissage), je suis rentré chez moi en métro et bus juste à temps pour éviter une tempête de neige qui aura duré près de vingt-quatre heures. Ce matin le couvert nuageux s'est enfin déchiré, laissant voir des lambeaux de ciel bleu et percer une lumière d'hiver qui fait de mon retour à l'université une petite fête.

mardi 4 janvier 2011

Info

Si vous pensez que le blog est déserté, rassurez-vous. Je suis simplement en vadrouille en France et au Québec pour le winter break. Le récit de mes aventures chicagolaises reprendra dès la semaine prochaine. Bonne année à tous et à bientôt!