jeudi 27 janvier 2011

Américain

Je suis dans le bus, les notes du premier mouvement d'un célèbre concerto pour piano de Tchaïkovski déferlent dans mes oreilles et je vois monter ce mec et je reconnais sur son bonnet le « C » des Bears, l'équipe de football (américain) de Chicago qui vient de rater de peu sa place au Superball et soudain je me dis que j'aime cette ville, ses gens, que je m'arrange peut-être pour y rester un peu plus longtemps que je le pensais. Presque malgré moi. Comme, par exemple, lorsque je fais l'impasse sur un poste au Canada que j'aurais peut-être pu décrocher, une erreur de jugement que je ne m'explique pas ayant postulé (d'ailleurs sans trop y croire) dans trois universités américaines...

Scène banale : je prends l'escalator pour me rendre au service de reprographie de l'université situé dans le « Student Center » et je suis témoin d'un échange entre deux étudiants américains, de deux « ethnicités » différentes. L'un raille gentiment l'autre parce qu'il se rend au gym en tenue très légère alors qu'il fait -6 dehors et celui-ci lui rétorque qu'il s'y rendrait nu s'il le pouvait (comme les athlètes Grecs allant au gymnase ?). J'entends et je comprends leur accent typiquement américain et c'est comme de la musique à mes oreilles. Il y a des moments où il faut presque que je me pince pour réaliser tout ce que cette banalité a d'extraordinaire. Sans doute pas pour ces milliers de jeunes Français qui déferlent chaque année sur les campus américains. Mais pour moi ce l'est. C'est la concrétisation d'un rêve pas tout à fait articulé, en 2000, alors que je mettais pour la première fois les pieds dans une université américaine, au Kansas. Un an plus tard, presque jour pour jour, j'assistais en direct à la chute des tours du World Trade Center et dans les années qui suivirent ma fascination pour ce pays s'est muée en dégoût. Je crois que la campagne puis l'élection d'Obama ont provoqué en moi le déclic qui a réactivé mes vieilles attirances refoulées.

Américain, je le suis devenu un peu plus hier, en allant faire ma demande de numéro de sécurité sociale (Social Security Number ou SSN), un véritable sésame dans ce pays où tout est très compliqué si vous n'avez pas ce fameux numéro. En principe, mon statut actuel ne m'autorise pas à avoir un. Mais j'ai appris de mes amis latinos qu'ils étaient peu regardants; comme quoi... De bon matin, j'ai donc accompagné Andrea, la femme de Jorge (mes voisins colombiens), au centre administratif le plus proche (situé quand même à une grosse demi-heure de chez moi en métro et bus). C'était une chose qu'elle reportait depuis un moment, car il faudrait qu'elle travaille, mais elle s'en passerait bien, préférant se consacrer à ses études doctorales en philo. Or, impossible de recevoir une paie sans ce fameux numéro. Tout s'est passé comme une lettre à la poste. Nous avons attendu (pas très longtemps) dans une classique salle d'attente d'un centre de services gouvernementaux, dont la paix ne fut que momentanément troublée par la question d'un agent de sécurité qui s'enquérait du propriétaire d'un sac non identifié... Je m'attendais à ce qu'on évacue sur-le-champ, mais non, rien de tel. Ambiance placide, décontractée, comme si aucune menace, au cœur d'un quartier périphérique de cette ville de l'Amérique profonde, ne pouvait nous atteindre. Je m'attendais à toutes sortes de question de l'employée qui s'est occupée de mon cas. Mais pas du tout, elle a été absolument charmante avec moi dès qu'elle a reconnu l'en-tête de l'université où elle a fait ses études, me souhaitant la bienvenue et me confiant son étonnement d'avoir servi trois Français depuis le début de la matinée, un record. « C'est peut-être le début d'une tendance », que je lui fais, avec le genre de sourire que vous faites aux douaniers en n'attendant qu'une chose : qu'ils en finissent au plus vite avec vous. « You are all set », finit-elle par me dire. Je recevrai ma carte d'ici une à deux semaines. C'était aussi simple que ça.

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