mercredi 2 mars 2011

French in Chicago (2)

On m’a souvent répété qu’ici l’accent français était un atout, qu’il me donnait du charme. J’ai pu m’en rendre compte, bien que l’effet ne soit pas spectaculaire. En tout cas, il trahit ma francophonie. Ces derniers temps, je n’arrête pas de rencontrer des gens, natifs américains ou pas, qui veulent parler français avec moi dès qu’ils décèlent mon accent (c’est-à-dire presque instantanément tant il est « à couper au couteau »). Au centre sportif de l’université tout particulièrement, où ce sont d’abord mes palmes qui attirent l’attention et provoquent la conversation. Comme dans le cas de Doug, beau brun que je croisais souvent au gym et qui attirait chaque fois mon regard. Je croyais qu’il l’évitait, méprisant cette marque d’intérêt. Alors qu’en fait ce n’était que de la timidité. Un soir, à la piscine, il est venu directement m’aborder pour me demander ce que je pouvais bien faire d’une ceinture de plomb. Je lui ai expliqué que je pratiquais l’apnée, et puis il m’a demandé si j’étais français, ajoutant aussitôt qu’il le parlait car il avait fait ses études secondaires au Lycée Français de Chicago. D’ailleurs, l’établissement, privé, est situé non loin de chez moi, à quelques « blocks » au Nord, et j’ai découvert qu’il n’existait que depuis une quinzaine d’années. On a parlé français pendant un moment et puis j’ai fait mine de vouloir commencer mon entraînement. Il insiste : « J’ai une autre question... » Il voulait savoir s’il avait un accent en français. Je lui ai répondu que oui, qu’il avait un accent américain (à croquer mais ça bien sûr je l’ai gardé pour moi) mais que je le comprenais parfaitement. Moue de déception. Autrefois, me dit-il (c’est drôle dans la bouche de quelqu’un qui n’a pas vingt ans), il parlait sans accent. Depuis, on échange quelques mots de français quand on se croise à la piscine.

Mardi prochain, c’est Mardi Gras à la soirée « French in Chicago », ralliement mensuel que j’avais découvert grâce à Axel, doctorant en sciences po dans la même université que moi. Je ne sais pas encore si je vais y aller. Après deux expériences plutôt sympathiques au café Paris in Chicago sur Halsted, la troisième et dernière en date m’a un peu refroidi. Elle se passait, cette fois, à La Boulangerie, qui comme son nom l’indique, vend du pain français (soi-disant le meilleur de Chicago), juste en face de Logan Square. Elle fait aussi café et on peut y casser la croûte en dégustant des sandwichs à la composition alléchante. Et à ceux qui se demanderaient si la fièvre des macarons a gagné Chicago, au moins je peux dire qu’on en trouve à La Boulangerie, y compris au caramel à la fleur de sel ;-) Le gérant, A., est un jeune Français rentré récemment à Chicago pour y épouser la femme qu’il avait rencontrée lors d’un précédent séjour. Il nous accueille, ce soir là, sans pain mais avec une portion de raclette.

Je suis arrivé sur le tard, quand la soirée battait son plein. J’aperçois Axel qui discute au milieu d’un groupe de Français de son âge, c’est-à-dire dans la vingtaine. Je ne sens pas d’ouverture pour me joindre à eux. Finalement je saisis l’occasion de le saluer, et pour dire quelque chose je lui demande s’il est toujours content de son séjour dans cette université. Il me répond en ricanant qu’il n’a jamais été content d’y être, que c’est une université de merde, et que dans son département il est entouré de cons. Je lui demande pourquoi, selon lui, il s’agit « d’une université de merde » :
− Parce qu’elle a une réputation de merde.
− Et tu le savais avant de venir ?
− Oui.
− Dans ce cas, pourquoi l’as-tu choisie ?
− Parce que j’ai pas été pris à l’Université de Chicago !

Et il est retourné papillonner parmi ses potes français. À côté, d’autres Français parlaient business. Je me suis retrouvé seul dans mon coin. Je me prenais à regretter l’ambiance conviviale de Paris in Chicago. La camaraderie chaleureuse de Jay, le traducteur-interprète. La jovialité un peu bourrue et pince-sans-rire de D., le Québécois de Chicoutimi. C’est Helena, tout sourire, qui vient me tirer de ma torpeur, m’appelant par mon prénom. Je l’avais aperçue mais la pensais sur son départ. On avait discuté à l’apéro de décembre. Américaine d’origine grecque, elle fait une recherche sur les « bi-culturels » et s’intéresse à mon cas ; on s’était promis de se contacter au retour des Fêtes pour prendre un café. Elle aussi trouve que l’ambiance est différente selon les lieux où se tiennent les apéros ; on n’y croise pas les mêmes gens. Elle me parle d’un autre groupe, plus orienté « réseautage » : le GPF (Groupe professionnel français), qui se réunit le dernier jeudi du mois. Je lui dis que ça ne m’intéresse pas.

Helena s’en va. Et je réalise que dans ces soirées, je ne m’entends vraiment qu’avec des non-Français. Les Français, quand ils ne vous connaissent pas ils vous jaugent, vous regardent en coin, sarcastiques, grinçants. Hâbleurs. Avec toujours ce demi-sourire condescendant si vous n’aimez pas les mêmes choses qu’eux, si vous n’avez pas fait les mêmes écoles, ou si vous ne travaillez pas comme expat’ pour une compagnie du CAC40. Ou que vous ne pensez pas, comme eux, que tout le reste, « c’est de la merde ». Je sais pourquoi j’ai quitté la France. Pourquoi je me suis trouvé si bien au Québec. La France, c’est la société du mépris. Où les rapports humains sont d’abord structurés par le besoin de se mesurer aux autres. Quand ils sont loin de leur hexagone, ils se rassemblent pour pouvoir perpétuer ce petit manège qui donne un sens à leur existence. Pas tous, bien sûr. Certains au contraire fuient cette grégarité, ces réseaux d’expats, cette culture du mépris. Je les ai trouvés à Montréal où ils sont légion, mais pas encore à Chicago.

1 commentaire:

  1. "Quand ils sont loin de leur hexagone, ils se rassemblent pour pouvoir perpétuer ce petit manège qui donne un sens à leur existence."

    TELLEMENT VRAI !!
    C'est exactement ça que j'observe chez ma coloc !!!

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