mardi 15 février 2011

Taxi, suivez ce bus!

Je suis un peu à la course. Je ne veux pas manquer un séminaire qui s’annonce très intéressant. Le conférencier arrive tout spécialement du Massachusetts et a dû affronter toutes sortes de difficultés à cause de la tempête. C’est donc le cas de le dire : il est venu, contre vents et marées. Raison de plus, si j’ose dire, pour l’honorer de ma présence. En montant dans le bus, je lui demande si la circulation est encore ralentie par la neige. Il me répond qu’elle est  « smooth ». Je profite du trajet pour écrire un billet pour ce blog. Cette fois, c’est le récit de la tempête. Mes photos, prises et triées la veille, sont prêtes à mettre en ligne. Mais au cas où, les autres sont sur la carte-mémoire, laquelle est insérée dans l’ordinateur.

Absorbé, je ne vois pas le temps passer. Mon texte est presque terminé quand j’aperçois l’enseigne bleue du métro, la station qui dessert le campus Est de l’université. C’est là que je descends habituellement, même si cela me rallonge un peu car le bus s’arrête ensuite à l’entrée du campus. Je préfère en effet traverser le parc qui sépare l’université de l’autoroute, couper à travers champ, et profiter ainsi des rayons du soleil de l’après-midi, autrement arrêtés par les bâtiments du campus. Et au final, je gagne du temps, car le bus est souvent arrêté au feu rouge, ou retardé par le chargement et le déchargement de passagers prenant ou arrivant du métro. Toutefois, cette fois j’ai un soupçon d’hésitation. À deux moments. D’abord au moment de me lever de mon siège, car je me dis : à quoi bon me précipiter pour m’habiller, de toute façon, il y a sûrement trop de neige pour couper à travers le parc. Mais comme je sens que ça va traîner et que je ne veux pas arriver en retard, je décide quand même de descendre à cet arrêt. Je me dépêche donc de zipper mon manteau, j’enfile mon sac de sport sur les épaules, et finalement je prends le sac que je porte en bandoulière, et qui contient mes dossiers et mon netbook. Dehors, le soleil est éclatant et réchauffe. Là, j’ai une deuxième hésitation alors que le bus est encore à l’arrêt. Ai-je bien mes gants ? Ma tuque ? Oui. Je me lance alors dans la traversée du champ de neige. C’est plutôt facile, je n’ai qu’à mettre mes bottes dans les traces qui m’ont précédé. Je me dis que je prendrais bien quelques photos des gratte-ciel du centre-ville, avec la neige au premier plan, mais je n’ai pas le temps.

Trois, peut-être quatre minutes se sont écoulées quand j’arrive à la jonction du sentier improvisé et de la rue longeant l’université. C’est là que je réalise que mon sac est trop léger. Même pas besoin de l’ouvrir : je tâte, et ma crainte est confirmée. Mon sang ne fait qu’un tour, mais ma première réaction est de me dire que c’est cuit, qu’il n’y a plus rien à faire, qu’à me rendre à ma conférence. Mais non, dans un accès de pensée magique, je fais demi-tour et décide de me rendre (en courant) à l’arrêt de bus où, c’est maintenant une certitude, j’aurais dû descendre. Le bus a bien évidemment déjà disparu au loin. Sur la borne de l’arrêt de bus est indiqué le numéro de la CTA. J’appelle. Je rêve vaguement qu’ils appellent le chauffeur de mon bus par radio... Et je me dis qu’au moins, ils me diront la marche à suivre. Évidemment je rêve en couleur. Le numéro de la CTA sonne dans le vide.

C’est alors qu’une autre idée un peu folle me passe par la tête. J’aperçois un taxi qui attend que le feu passe au vert à l’intersection, je lui fais signe, je monte, et je lui explique que je cherche à rattraper le bus qui vient de partir. Et nous voilà lancés à sa poursuite. Mais comme il n’y a qu’une voie, impossible de dépasser, impossible donc de rattraper ledit bus, qu’on finit par deviner, au loin, nous fuyant tel un mirage dans le désert. Et puis une voiture de police se retrouve derrière nous. Si bien que pendant un long moment, mon chauffeur respecte scrupuleusement les limites de vitesse, ne passe pas quand le feu vire à l’orange, etc. Je perds de vue le bus. Je n’ai aucune idée du chemin qu’il reste encore à parcourir jusqu’au terminus, mais l’on voit toujours les arrêts s’égrener avec le numéro de ma ligne (8-Halsted). Je me dis qu’à chaque arrêt, mes chances de retrouver mon netbook diminuent exponentiellement. Mais seule chance est que le passager qui l’a trouvé l’ait remis au chauffeur.

Craignant que le bus termine sa « run » avant qu’on ne l’ait rattrapé et ne soit déjà reparti en sens inverse, je dévisage les chauffeurs des bus que l’on croise, essayant d’identifier le mien. Toujours pas de bus devant. Presque plus de voitures non plus. Nous sommes maintenant dans le Southside, les bâtiments sont plus épars, plus industriels. Les piétons plus rares. Les arrêts de bus déserts. Le chauffeur m’explique qu’en bout de ligne, le bus n’ayant presque plus de passagers, il doit filer à vive allure et qu’il a dû prendre de l’avance sur nous. Mais comme la police ne nous suit plus, il me promet d’aller plus vite et m’assure qu’on va le rattraper. Et finalement le voilà. On s’arrête derrière lui au feu rouge. Je dis au chauffeur de taxi de m’attendre et me précipite dans le bus, pour constater que quelque chose ne va pas. Ce n’est pas le bon chauffeur. Ce n’est pas le bon bus non plus (la disposition des sièges est différente). Très gentiment, le chauffeur, afro-américain comme la plupart des chauffeurs de cette ligne, m’explique que j’ai dû dépasser le bus en question, car à un point du parcours, il s’écarte momentanément de la rue Halsted pour se rendre à une station de métro sur la ligne orange. Il me donne aussi le numéro de l’un des deux garages où les chauffeurs de cette ligne déposent les objets trouvés quand ils ont fini leur service. Il me dit de l’appeler pour avoir le numéro de l’autre.

Je retourne à mon taxi. Le compteur indique déjà 15$. Les taxis sont vraiment bon marché à Chicago, mais je préfère arrêter les frais et prendre le bus que je vois approcher pour retourner à l’université. Il m’en aura coûté 20$ avec le pourboire, que j’ai voulu généreux. Dans le bus du retour j’ai appelé les deux garages en question. On m’a dit de rappeler en fin de journée. Je suis arrivé à temps pour assister à la fin du séminaire. Mais j’étais ailleurs, tétanisé. Je n’ai évidemment jamais eu de nouvelles de l’ordinateur, qui affiche pourtant mon nom lorsqu’on l’ouvre. Ce qui m’a fait le plus de peine, c’est finalement la perte de toutes les photos que j’ai prises depuis mon arrivée à Chicago. Les seules qui me restent sont celles qui illustrent ce blog.

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